mercredi 27 février 2008

Promoe - White Man's Burden (2006)


Chronique publiée sur le site Abcdrduson.com en janvier 2007.

Deux ans après "The Long Distance Runner", le MC suédois Promoe sort en septembre 2006 son troisième LP solo, "White Man's Burden". Précédé de deux maxis, "Songs Of Joy" et le magnifique "Headache", ce nouvel album s'annonçait une fois de plus à part, le leader de Looptroop préférant définitivement les chemins de traverse aux sentiers balisés.

Embee, au grand détriment de ses nombreux - tout est relatif - admirateurs, se fait une nouvelle fois rare. Ceux-ci apprécieront tout de même les trois sons qu'il livre ici, et en particulier le beau 'In The Morning'. Pourtant, sans le producteur attitré de son collectif, Promoe ne fait pas pâle figure. Entouré de son collègue de longue date DJ Large et de nouveaux venus comme Jimmy Ledrac ou Funky Loffe qui pallient l'absence de Break Mecanix, il explore de nouveaux univers sonores. Etonnant mais rapidement convaincant – bien qu'il faille parfois plusieurs écoutes pour que certains titres révèlent toutes leurs richesses – "White Man's Burden" n'en est que plus intéressant.

Après avoir collaboré avec les pointures jamaïcaines Anthony B, Bushman ou le groupe Ward 21 sur son précédent opus, Promoe fait ici appel aux services, entre autres, du géant Capleton pour approfondir la voie reggae/ragga empruntée sur "The Long Distance Runner". Ainsi, 'Songs Of Joy', 'Trapped', 'Identity Crisis', 'White Man's Burden' ou encore 'Time Travellin' sont dans cette même lignée. Elément révélateur, Chords, Timbuktu, Cos.M.I.C ou Supreme n'ont pas été conviés sur ce "White Man's Burden", et à l'exception de Leeroy du Saïan sur le puissant 'Eurotrash' – l'alchimie entre les deux artistes est d'ailleurs frappante – aucun featuring hip-hop n'apparaît ici.

Si Promoe délaisse souvent la forme rap classique dans laquelle il s'illustrait sur les albums de Looptroop et sur "Government Music", il dépasse également, cette fois-ci, les limites du reggae. Malgré quelques problèmes de reprise de souffle qui parasitent par moments l'écoute, il fait exploser toutes barrières - musicales et personnelles - en variant sans cesse les exercices. Imbibé de rap, de toast et de chant, différent d'un morceau à l'autre, son flow transforme deux belles productions mélancoliques de DJ Large en joyaux ('Up !' et 'Headache') tandis que le MC accompagne les refrains de 'Long Sleeves In The Summer' et de 'Post Cards', pour un résultat plein d'émotion. Ces choix artistiques associés à une prise de risques constante - tant d'un point de vue technique que dans l'arrangement des morceaux - font de ce disque une œuvre d'une ambition admirable. Il serait pourtant injuste et faux de laisser entendre que cet album n'est pas hip-hop : globalement plus mélodieux que les précédents, il fait cependant toujours la part belle aux raps et toasts rugueux, comme sur les nerveux 'Musick Bi$$ Apocalypse' et 'Identity Crisis'.

De manière encore plus flagrante que sur ses précédents disques, Promoe paraît sur "White Man's Burden" chercher à s'émanciper des limites d'un rap qui serait devenu trop étroit pour lui. Le résultat ? Un album d'une immense fraîcheur et un artiste dont l'évolution est une constante source d'enthousiasme. Bien sûr, "White Man's Burden" pourra par moments sembler peut-être trop ambitieux, et Promoe un brin laborieux, mais les quelques morceaux moins bons ne sauraient entacher la belle réussite que constitue ce disque. Ajoutez à cela quelques textes particulièrement bien écrits et vous obtenez une oeuvre essentielle.

Promoe - Off The Record (1999)


Chronique publiée sur le site Abcdrduson.com en septembre 2007.

Maxi de présentation sorti alors que Promoe et Looptroop étaient quasiment inconnus à l'extérieur des frontières suédoises, "Off The record" (1999) imposa son auteur comme le leader de son groupe.

Loin des expérimentations de "The Long Distance Runner" (2004) et de "White Man's Burden" (2006), cette première "véritable" sortie solo est par contre dans le même esprit que le "Modern Day City Symphony" de Looptroop, réalisé l'année suivante : hip-hop jusqu'à la moelle. Les seuls éléments reggae étant parvenus à s'infiltrer sur cette galette sont les références faites à Buju Banton, Bob Marley ou Junior Reid.

En trois titres, Promoe présente deux facettes de sa personnalité. Le MC habitué aux battles et à l'egotrip dans un premier temps ; le MC intimiste dans un second.

"MC's spoke a lotta shit, I make 'em eat every word of it. I'm from the Looptroop crew : I bet you heard of it."

'Off The Record' et 'It's Promoe' sont deux titres sur lesquels Promoe marque son territoire et montre les crocs. Boucles imparables, en particulier sur le premier morceau, scratches de DJ TechNic, punchlines, ton hargneux, ironie... Les ingrédients classiques des bons morceaux egotrip sont présents. A quelques exceptions près, Promoe délaissera par la suite le battle rap total pour se concentrer sur des textes plus thématiques. A moins que l'un de ses pairs ne le défie, comme le fit récemment un rappeur allemand (voir 'Sag was' sur le disque bonus accompagnant le DVD "Standard Bearer"). "I never stay long before I tag alone, take my big backpack and then I'm gone like a vagabond."

'Poor Lonesome Homeboy', le troisième et dernier titre de ce maxi, est le plus intéressant. Sur un beat lent, marqué par une ligne de basse légère et une boucle calme et aérienne, Promoe adapte le concept du "Poor Lonesome Cowboy" à son activité de rappeur. Le texte, très personnel, traitant avant tout de solitude et d'errance, se distingue des provocations de 'Off The Record' et de 'It's Promoe'. C'est dans ce morceau que Promoe laisse le plus clairement deviner ses qualités d'écriture, tandis qu'affleurent au détour de quelques rimes certains des thèmes qui deviendront majeurs dans l'œuvre du MC suédois (rejet du mode de vie américain et/donc occidental, préoccupations altermondialistes, écologie : "(...) but I'm not sure I want part of a world that treats nature and a big percent of its population like shit. Don't mean that I'm righteous like Moses..."). 'Poor Lonesome Homeboy' reste l'un de ses morceaux les plus introspectifs, aux côtés de deux ou trois autres couplets posés sur "The Struggle Continues", le second disque de Looptroop, et de 'Positive & Negative' ("Government Music", 2002). Présentation efficace et prometteuse, "Off The Record" marquait un moment précis dans la carrière de Promoe. Un écho de la période du graffiti et du rap à l'arrache, qu'illustrent encore "Modern Day City Symphony" de Looptroop et, dans une moindre mesure, "Government Music", son premier LP solo. Le début de la fin de l'adolescence du rappeur, en quelque sorte.

Promoe - The long distance runner (2004)


Chronique publiée sur le site Abcdrduson.com en novembre 2006.

"It's 2004 : last year Tony and George started the war of the whores. Same year and the year before, plus the year before that, me and the Troop were on constant tours."

Voilà de quoi planter le décor. En 2004, Promoe, membre le plus en vue de Looptroop (groupe suédois rappant en anglais), donne suite au très bon "Government Music" : "The Long Distance Runner", métaphore de son goût pour les tournées interminables et de sa conception du rôle du emcee – un porte-voix doublé d'un marathonien.

Les premières écoutes sont plutôt désarçonnantes, car si l'on sentait une très nette influence reggae chez Promoe, on ne s'attendait pour autant pas à ce qu'il explore cette voie de manière approfondie. Partiellement enregistré en Jamaïque, "The Long Distance Runner" baigne dans cette atmosphère, des lyrics à la rythmique, des gimmicks à la liste des invités – le crew Ward 21, Bushman et Anthony B notamment. En dehors de la surprise que suscitent certains titres, tous ces éléments concourent à assurer à Promoe la sympathie de l'auditeur : le MC suit ses envies artistiques, étonne, intrigue, développe une identité forte ; pas de doute, nous tenons là un artiste qui prend des risques. Certes, tout n'est pas réussi : 'In The Jungle' lasse rapidement, de même que 'Fast Food World' et 'Mah Grrrl', malgré un excellent premier couplet ; mais l’intention est là et c'est, dans ce cas, l’essentiel. Ayant clairement décidé de se faire plaisir, le MC suédois va jusqu’à s’offrir le luxe de reprendre le mythique 'Fit You Haffe Fit' de Black Uhuru. Bien qu'en deçà de l'original, le résultat est d'une efficacité redoutable.

Orientation artistique oblige, Embee (le beatmaker de Looptroop) est moins présent qu’à l'accoutumée. Mais s'il ne signe que trois instrus, ceux-ci sont reconnaissables dès les premières notes : enchevêtrements de samples courts, travail particulier sur les voix, kicks rebondissants comme des ballons de basket ou comme les balles de ping-pong de 'DM-87' ; hormis le décevant 'Calm Down', il fait mouche à chaque coup.

Outre l'habituel hymne aux graffiti-artists auquel Promoe nous a habitués ('These Walls Don't Lie', "palapapapapaaa"), les textes sont globalement contestataires, avec des tendances altermondialistes marquées : dénonciation José Bovesque de l'industrie alimentaire ('Fast Food World'), de la guerre en Irak ('KKKampain', déboulonnant la "novlangue" de la Maison Blanche), protest-songs et constats larges ('Justice', 'Dog Day Afternoon', 'Constant Consumption'). On pourra reprocher au MC l'angle d’attaque parfois trop généralisant voire presque naïf, mais ses qualités d'écriture et son flow énergique font passer ces remarques au second plan. Les morceaux plus légers, comme 'A Likkle Supm Supm', sont autant de réussites.

Œuvre d’un artiste suivant ses envies et profitant de ses escapades solo pour "tenter des choses", "The Long Distance Runner" est un très bon disque. Promoe mêle avec bonheur reggae et rap, toaste, change de flows (voir son terrible couplet sur 'Dog Day Afternoon' pour s’en convaincre), s'affranchit de son style habituel et prend ainsi l'auditeur à contre-pied – bref, il évolue. Surprenant puis convaincant, l'album se révèle au fil des écoutes être une franche réussite, quelques titres imparables ('These Walls Don't Lie', 'A Likkle Supm Supm', 'Fit You Haffe Fit', 'Long Distance Runner') et beaucoup de bons morceaux effaçant aisément les quelques déceptions.

The Casual Brothers - Custumer's Choice (part 2) (2003)


Chronique publiée sur le site Abcdrduson.com en janvier 2007.

A moins que vous ne suiviez de près la carrière des membres du groupe suédois Looptroop, le nom The Casual Brothers aura peu de chance de déclencher chez vous autre chose qu'un froncement de sourcils étonné. Derrière cette intrigante appellation se cachent en fait le rappeur Cos.M.I.C et le producteur Embee (ex-DJ Embee) ; ils ont à leur actif deux EP, l'éponyme "The Casual Brothers EP" (2001) et, donc, "The Custumer’s choice (part 2)", sorti en 2003.

Trois titres composent ce disque, accompagnés de leurs versions instrumentales ; trois perles concoctées par Embee sur lesquelles Cos.M.I.C n’a plus qu’à poser sa voix claire et son flow aiguisé ; trois exercices bien distincts avec une seule constante : la qualité.

Coléreuse ou nostalgique, la plume du MC suédois reste fine et précise, qu’elle lui serve à fustiger la lobotomie publicitaire de la société de consommation occidentale ('Too Much', "They keep tellin' us how to stay in line and they know as long as the TV's on we'll stay blind, ‘cause it's a nonstop show straight in to your safe home with no chance and no way for you to say no…"), à raconter l’histoire de trois hommes courant après l'argent ('One Destiny'), ou à se remémorer certains épisodes de sa jeunesse ('A Bittersweet (Retrospective)', "Ask my parents, they were first to know, they thought that I was gonna stick to rhymin', couldn't believe their son was criminal minded. But all I ever wanted was my name on the wall, sprayin' it all who are you sayin' I'm wrong ?").

Embee, lui, compose d'une manière que l'on pourrait presque qualifier d'impressionniste : par petites touches, appliquant et combinant ses samples (guitares, cuivres, voix, claviers...) comme des couleurs, pour obtenir au final un ensemble d'une consistance imposant le respect. Virtuose, il parvient à susciter l’émotion sans avoir à l'extorquer à grands renforts de violons lancinants ou de pianos larmoyants. Systématiquement belles et lumineuses, ses productions reflètent à merveille les thèmes choisis par Cos.M.I.C, de telle sorte que raps et instrus s'accordent parfaitement : on sent une réelle complicité entre les deux Casual Brothers, et les quelques éléments extérieurs venant se greffer au projet – le guitariste John Grahn sur 'One Destiny' et le chanteur Christian Kjellvander sur 'A Bittersweet (Retrospective)' – parachèvent l'harmonie de l’ensemble.

Deux ans après l'excellent "The Casual Brothers EP", Cos.M.I.C et Embee persistent et signent un projet de grande qualité, démontrant une nouvelle fois que le producteur suédois est incontestablement l'un des beatmakers les plus inventifs et talentueux de ce début de XXIème siècle.

Piloophaz - Nature Morte (2004)


Chronique publiée sur le site Abcdrduson.com en janvier 2006.

"Hello darkness my old friend, I’ve come to talk with you again". C’est sur ces quelques paroles extraites du magnifique 'The Sound of Silence' de Simon & Garfunkel que débute le troisième projet solo de Piloophaz, "Nature Morte". Après un premier album en 2000 ("Noyau Dur") suivi en 2001 du maxi 6 titres "Hymne à la Folie", l’ex-membre de la Cinquième Kolonne revient fin 2004 dans les bacs. La chasse est ouverte...

L’extrait de 'The Sound of Silence' ne se trouve pas en exergue de ce disque par hasard. Celui qui se définissait sur "Noyau Dur" comme "l'éclipse, l’esprit sombre, cause et conséquence du déclic" n'a pas changé. La noirceur et le pessimisme constituent toujours la toile de fond de tous ses textes. Le rappeur stéphanois se met souvent en scène lui-même, devenant le personnage principal de ses fresques morbides, quitte à surjouer par moments. N'hésitant pas à se dévoiler avec sincérité et amertume ('Absence', 'Deadly Punk', 'Ethiliquement incorrect'), Piloophaz traite de thèmes personnels comme l’amitié, l’amour ('Sentiments sous verre') ou encore son attachement à sa mère ('Sans Toi') avec une écriture toujours impressionnante de lucidité ; la même lucidité glaçante qui frappait les oreilles et les esprits des auditeurs de "Derrière Nos Feuilles Blanches".

Quand Piloophaz ne parle pas directement de lui, il rue dans les brancards contre la religion ('Le Faucheur') ou rappelle son amour pour le hip-hop d’origine en compagnie de quelques collègues ('Terres Perdues'). Mais le morceau qui retient le plus l’attention est sans nul doute 'Le Jour se lève', magnifique texte consacré à l’anorexie. En 1min30, il dresse le portrait d’une jeune fille touchée par cette maladie avec une justesse faisant froid dans le dos, inscrivant ce morceau dans la droite lignée de textes comme le 'Nids de guêpes' d'Akhenaton par le constat coup-de-poing qu’il inflige à l’auditeur.

L'aspect répétitif de certains thèmes est comblé par les qualités d'écriture remarquables dont Piloophaz fait preuve tout au long de cet album. Conséquence : "Nature Morte" est un disque nécessitant de nombreuses écoutes pour révéler toutes ses richesses, tant les textes sont denses. Et c'est une qualité fort appréciable quand on voit la pauvreté lyricale de beaucoup d'albums de rap français dont on fait le tour en une écoute.

Alors qu'il pourrait jouer l’artiste larmoyant regardant tomber la pluie assis sur le rebord de sa fenêtre, usant d’un flow monotone, Piloophaz rappe de manière très vive et énergique sur tous les titres. Son flow sec et haché, sa voix et ses intonations le rendent reconnaissable entre mille. Techniquement parlant, on ne s'ennuie pas un instant à l’écoute de "Nature Morte". Les invités, des proches pour la plupart, ne font aucunement tache. Arom, sur 'Absence', livre un couplet d’une qualité telle qu’il nous fait regretter sa trop faible participation sur l'album collectif de la Cinquième Kolonne. 12mé et Romstick, tous deux membres du groupe Hasta Siempre, complètent efficacement la très bonne prestation de Piloophaz sur 'Ethiliquement Incorrect'. La remarque vaut aussi pour les couplets "sauvages" de Da'Pro, Maxx-R, Loco et Jojo sur l’épique 'Terres Perdues'.

Comme sur ses projets précédents, le style de Piloophaz se reconnaît à ses productions littéralement blindées de samples de toutes sortes. L'album est parsemé d'extraits de films, d'émissions, de scratchs assurés d'une main de maître par DJ O'Legg. En plus de créer une atmosphère unique sans être pesante ni lourde, cela confère à l’album un côté extrêmement ludique. Expliquons-nous. Dans le livret du disque, Piloophaz répertorie les films et artistes qu’il a samplé et scratché depuis qu'il fait du rap. L’auditeur un tant soit peu curieux ne manquera pas de se lancer à la recherche de ces samples en visionnant les films cités dès que l'occasion s'en présentera. Etait-ce aussi le but de cette liste non exhaustive présentée avant tout comme un hommage aux artistes et divers medias "utilisés" ? On n’en sait rien; toujours est-il que cette initiative s’avère être des plus heureuses et intéressantes.

La tonalité musicale de "Nature Morte" est, logiquement, sombre. Certaines ambiances instrumentales rappelleront Jedi Mind Tricks ou encore, toutes proportions gardées, le travail remarquable effectué par Muggs sur le meilleur opus de Cypress Hill, "Temples of Boom". Puisant ses samples dans les bandes originales de films, la soul américaine ou encore la variété française, Piloophaz, producteur de l’intégralité des instrus de l'album à l’exception du très bon 'Absence' (un classique mais efficace guitare sèche + sample vocal) signé Defré Baccara, ne se contente pas des pianos et violons qui auraient alourdi l'ensemble par une trop grande banalité. Les beats se font tantôt vifs et rapides (l'excellent 'Sans Toi' sur un sample du 'The World is empty without you' des Supremes, ou encore 'Terres Perdues' et 'Fils de Saul'), tantôt franchement lugubres et beaucoup plus lents ('Le Faucheur', 'Le Jour se lève'). Les instrus de "Nature Morte" forment donc un tout varié mais cohérent.

Piloophaz livre donc avec "Nature Morte" son projet solo le plus abouti. Il développe un univers vraiment particulier, fait d'introspection de colère et de lyrics inspirés par l'univers des films d'horreur (du Death Hip-hop, comme il se plaît lui-même à le souligner). Des qualités d'écriture indéniables, des beats efficaces, un flow capable de s'adapter aux instrus selon leur rapidité, voilà à quoi s’attendre avec ce rappeur talentueux. Il ne reste plus qu’à attendre la suite, en faisant tourner en boucle ce "Nature Morte" et le disque-testament "Derrière Nos Feuilles Blanches" de la Cinquième Kolonne.

Romstick - Du Silence au vacarme (2006)


Chronique publiée sur le site Abcdrduson.com en avril 2007.

"Je dis ce que je pense et ce que je crois penser. Je dis ma petite vérité qui ne va pas très loin, d'ailleurs, qui n'est pas à moi ; mais je la dis avec mon caractère, avec ma nature. Je prends des idées qui sont à tout le monde et je les traduis selon ma propre nature. Ca ne va pas plus loin que ça : je n'ai pas la prétention de changer le monde, je ne sais pas comment il faut faire pour le changer."

Ces quelques phrases de Georges Brassens pourraient résumer l'approche de "l'école stéphanoise". En 2003, le magnifique "Derrière nos feuilles blanches" avait permis d'attirer l'attention sur la scène rap de Saint-Etienne, d'en déceler peu à peu les richesses autour de ses deux groupes phares, feu la Cinquième Kolonne et Hasta Siempre. Ceux-ci ont en commun un goût pour les ambiances mélancoliques, les textes froids et désabusés sur les relations humaines, l'introspection, tout en conservant chacun leurs spécificités (l'autodérision et les escapades jazz pour Fisto et 12Mé, l'horrorcore ou death hip-hop pour Piloophaz...).

Rappeur au sein du collectif Hasta Siempre (12Mé, Mash, Mans, DJ O'Legg, Zedka), Romstick est enfin mis en avant via un EP sept titres, "Du Silence au Vacarme". Auparavant entendu notamment sur le 'Ethiliquement Incorrect' de Piloophaz ("Nature Morte", 2004, également présent en bonus track sur ce disque), le MC stéphanois n'est pas du genre à passer inaperçu tant son débit haché et sa voix écorchée le distinguent de ses collègues.

"Du Silence au Vacarme" confirme son talent. S'il faudra plusieurs écoutes aux non-initiés pour s'habituer à son style – ou le rejeter définitivement -, l'atmosphère lugubre et le caractère écorché vif des textes de ce "clown rarement drôle, comme Krusty", parfaitement véhiculés par son timbre de voix rauque, prennent à la gorge et deviennent vite envoûtants. Rarement fond et forme ont semblé en si parfaite adéquation : les instrus signés Mans, Fleow ou Piloophaz évoluent logiquement dans un veine sombre, des boucles variées de cordes (piano, guitare, violons...) aux micro-samples de cuivres et voix pitchées. DJ O'Legg est une nouvelle fois très présent (six titres sur sept) et se montre impeccable, qu'il cutte quelques phases de rap US (Method Man, Mobb Deep...) ou scratche divers sons en arrière-plan.

Deux beats viennent néanmoins apporter une touche un peu moins pesante : celui du dynamique 'Tout sort du coffre', produit par Fleow à base de samples du 'Come To Mama' d'Ann Peebles, et ensuite celui de 'Une guerre éclate', aux faux airs de 'Shook Ones part.2' ralenti.

Comme "Des Lumières sous la pluie", "Mille et un fantômes" ou "Derrière nos feuilles blanches", "Du Silence au vacarme" parvient au bout de quelques titres à retranscrire une atmosphère nocturne et froide, pleine de spleen. Mettant en avant sa part d'ombre, Romstick se montre convaincant sur les sept titres composant ce disque solide. "Anti-star du phonographe", il se livre via une écriture sèche fortement empreinte de pessimisme, que la courte durée de ce EP empêche de devenir trop étouffante pour l'auditeur. Dans la droite lignée des ambiances créées par Piloophaz, le rappeur stéphanois se démarque toutefois par sa voix grave et son rap à la fois traînant et agité, comme s'il craignait de suffoquer. Il prend des idées qui sont à tout le monde et les traduit selon sa propre nature : indéniablement, Romstick vise juste.

12Mé & Raph - Headfones 0.1 (2006)


Chronique publiée sur le site Abcdrduson.com en juin 2006.

Les collaborations entre rappeurs et musiciens ont décidément le vent en poupe ces derniers temps. Le EP "Headfones 0.1" est l’occasion pour le MC stéphano-lyonnais 12Mé de s’associer au saxophoniste Raph. Le nom de 12Mé ne vous sera pas étranger si vous suivez un tant soit peu l’évolution de la scène rap de Saint-Etienne : membre du collectif Hasta Siempre (12mé, Mash, Romstick, Man’s et DJ O’Legg notamment), il fut l’auteur d’un très bon album réalisé avec Mash en 2004, "Parmi tant d’autres", et d’un EP en demi-teinte, "Le fruit de nos expériences", sorti en 2005.

A l’écoute de ce "Headfones", on ne manquera pas d’établir des ponts entre le rap de 12Mé et celui de son aîné Fisto. Les liens sont en effet nombreux : même finesse d’écriture dans la description des rapports humains ('Monde Muet', 'La Folie' en compagnie de Man’s) ou la retranscription du spleen urbain (l’excellent 'Un tour en ville'), même humour/miroir ('Soirée étudiante'). L’écriture frappe par sa justesse, pleine d’humilité et de sincérité ("Je suis pas venu ici pour délivrer la bonne parole. Je taffe scred, fais mon truc, au mic je remplis aucun rôle.", dans 'La Bonne parole'). 12Mé prend un plaisir évident à rapper (ce qui ne semble malheureusement pas toujours être le cas chez les rappeurs, mais fermons la parenthèse), n’hésitant pas à prendre des risques en variant son flow, comme sur le beat saccadé du très réussi 'Tranches de vie'.

Le EP "Le Fruit de nos expériences" avait été l’occasion d’une première collaboration entre 12Mé et Raph, sur le morceau 'Nouvelle Donne'. Si 'Jazz Session' ou 'La Bonne parole' donnent lieu à un vrai "dialogue" entre le MC et le saxophoniste, Raph en est le plus souvent réduit à un rôle d’appoint, ponctuant certains morceaux de quelques notes lancinantes ('Monde Muet', 'Passe le mic', 'Un tour en ville', 'La Folie') mais partageant rarement le devant de la scène avec le emcee. Chacune de ses apparitions s’avère pourtant efficace et bienvenue.

Au niveau de la production, 12Mé et Raph bénéficient de nombreux renforts : un trompettiste, un pianiste, deux guitaristes, un bassiste (Julien Sarazin, déjà remarqué sur le 'Soliloque' de Fisto sur la compilation "A l’instinct vol.2") et surtout un DJ, O’Legg, dont la présence s’avère une fois de plus déterminante ('Monde Muet', 'Passe le mic', 'Soirée étudiante', 'Un tour en ville', 'La Bonne parole', ou encore 'Tranches de vie', dont il assure la prod). "Headfones 0.1" est bien entendu un album très jazzy, avec des rythmiques rap "classiques". Cette production impeccable est l’autre point fort du disque : 'Soirée Etudiante', 'Un tour en ville', 'Tranches de vie' ou encore 'La Folie' avec sa batterie sèche et ses quelques notes de vibraphone constituent de très bons moments.

"Headfones 0.1" est au final un projet très soigné (saluons au passage la qualité de l’artwork) et rondement mené. Raph reste souvent discret mais toujours efficace, et DJ O’Legg aurait mérité de voir son nom figurer sur la pochette aux côtés de ceux de ses collègues tant l’efficacité de son travail de scratchs est flagrante. 12Mé, lui, confirme qu’il est un rappeur à suivre de près. Il passe sans soucis de l’introspection à l’humour et sait capter, par sa voix et son flow, l'attention de l'auditeur. Mission accomplie : ce premier volume de "Headfones" est un album d’excellente facture, méritant décidément que l’on s’y attarde.
"Never knew murder 'till I seen my man get popped.
No blood soaking, laying there, eyes still open.
I got a little closer, put my hand on his palm
He was looking right through me, yo, staring beyond.
I wonder what he saw : the limoes, movies ans tours ?
Did he die in vain and represent for the cause ?
Now I put his name on everything I'm involved
And that's the game, y'all can't relate, fuck y'all."

Nas - My way

Nas - It was written (1996)


Chronique publiée sur le site Abcdrduson.com en février 2006.

Prononcez le nom de Nas devant n'importe quel fan de rap new-yorkais, le résultat sera le même dans neuf cas sur dix. Un sourire, des yeux qui brillent, un "putain !" prononcé dans un soupir. Faîtes écouter 'New York State of Mind', 'Memory Lane', 'Represent' ou encore 'It ain't hard to tell' à n'importe quelle personne dont les oreilles fonctionnent à peu près correctement et à nouveau vous aurez droit à la même réaction, suivie de hochements de tête approbateurs. "I rap for listeners, blunt heads, fly ladies and prisoners, Hennessey holders and old school niggas…".

En dix titres le jeune Nasir Jones, âgé de seulement vingt ans, marquait l'histoire du hip-hop. C'était en 1994. Deux années plus tard sortait "It was written", son deuxième album.

Le petit garçon joufflu de la pochette de "Illmatic" a laissé la place à un jeune homme impassible. Mais le fond reste le même : toujours les bâtiments en briques rouges des projects de Queensbridge (New York) et leur lot de galères, de petits gangsters et de gros dealers, de mômes paumés et de jeunes pousses avides de connaissance et de sagesse. Et toujours autant d’histoires, contées avec brio par un Nas adepte des fresques urbaines.

Parler de "It was written", c'est inévitablement parler de la déception qu’il déclencha chez tous les amoureux de "Illmatic". Nas avait changé. Il n’était plus ce gamin attachant, ce Nasty Nas, petite frappe assumée ne cherchant pas à jouer au gros trafiquant et se revendiquant même "young city bandit". Il semblait sur le point d'accomplir sa mue pour devenir le Nas Escobar qui éclaterait au grand jour sur le projet "The Firm". Non seulement au niveau de certains textes mais aussi musicalement. Le son brut et rugueux de "Illmatic" s’adoucissait sur "It was written", parfois trop léché, trop sophistiqué, comme sur 'Watch dem niggas', 'Nas is coming' ou 'Black Girl Lost', également détruit par un refrain catastrophique. Sur l'équipe de producteurs responsables du premier album, seul DJ Premier était rappelé, pour un titre. Plus de Pete Rock, ni de Q-Tip. Encore moins de Large Professor. Mais un nom présent en tant que producteurs exécutifs : les Trackmasters, se chargeant presque de la moitié des productions du disque et alternant le meilleur ('The Message', 'Affirmative Action', 'Shootouts') comme le pire ('Street Dreams', clin d'œil aussi énorme qu’inutile au 'Sweet Dreams' de Eurythmics, 'Watch dem niggas').

Havoc de Mobb Deep dont les instrus minimalistes et froides avaient le vent en poupe depuis le magnifique "The Infamous" de 1995 signait deux beats rugueux, le craquement du vinyl en toile de fond. Le groupe se retrouvait au complet pour un 'Live Nigga Rap' sombre à souhait avec son beat sec et son petit sample de piano en retrait. Enfin, toujours au rayon des têtes d’affiches, Dr Dre y allait aussi de sa petite contribution musicale, ne convenant malheureusement pas au style d’un Nas décidément plus à l'aise sur les instrus simples que sur les morceaux mièvres et surchargés.

Mais parler de "It was written" c’est aussi parler de véritables chef-d’œuvres rapologiques qui mériteraient presque qu’on leur réserve une chronique à chacun. C’est d'abord un 'Affirmative Action' tout simplement magique. Quatre rappeurs dans une forme olympique se passent le relai pendant environ quatre minutes. Et quels rappeurs ! AZ, Cormega, Nas et Foxy Brown. Rien que ça. Difficile pourtant de ne pas être amer à l’écoute de ce titre, qui laissait augurer du meilleur quant au projet "The Firm". Mais le remplacement de Cormega par Nature (un remplacement d’autant plus douloureux que Cormega enterre la carrière entière de Nature rien qu’en lâchant un "Yo !" ou un "Real Shit !") et des productions inégales eurent raison de la réussite musicale de ce super-groupe.

"It was written", c’est encore 'The Message' et le rap impeccable de Nas sur quelques accords de guitare, rap auquel Akhenaton fera un clin d'œil dans ce qui restera sans doute son meilleur morceau, 'Pousse au milieu des cactus ma rancœur' (le "et tes propres frères deviennent étrangers, c’est comme ça" rappelant étrangement le "and best friends become strangers, word up" de Nas). Autre excellent titre, 'I gave you power', produit par DJ Premier, dans lequel Nas se met dans la peau d’un flingue et raconte ce que pense et voit celui-ci ("I've seen some cold nights and bloody days..."). Un morceau tout simplement magistral. Enfin, impossible de ne pas mentionner le terrible 'Take it in blood', produit par le Live Squad, et qui apporte une fois de plus la preuve que Nas n'est jamais aussi bon que lorsqu'il fait simple.

D'autres très bons titres parsèment cet album, comme 'Shootouts' ou le tubesque 'If I ruled the world' en compagnie de Lauryn Hill, qui portera cet album haut dans les charts, mais aucun n'atteint la qualité de ceux précédemment cités. Les grandes déceptions proviennent donc essentiellement des titres orientés dancefloor ou low-tempo mièvre et sans relief.

Force est de constater que dix ans plus tard cet album s’écoute encore sans mal, et même avec un réel plaisir. Une certaine nostalgie n'est bien sûr pas étrangère à ce sentiment mais, malgré les maladresses et incompréhensions qui poursuivront Nas sur toute sa carrière (le tiraillement entre le succès commercial et la volonté de satisfaire la rue et les hip-hop headz attendant un nouveau "Illmatic" à chaque sortie) et que l'on trouve déjà en germe sur "It was written", ce disque tient indéniablement la route. On lui reprochera d’être trop hétérogène et inégal, mais les quelques excellents titres qui le composent justifient à eux seuls que l’on se penche à nouveau sur cet album et qu’il ne se contente pas de prendre la poussière aux côtés d’un "Illmatic" sans cesse réécouté.

Nas - The Lost Tapes (2002)


Chronique publiée sur le site Abcdrduson.com en mars 2006.

Sorti en 2002, le projet "The Lost Tapes" est une compilation de titres enregistrés par Nas de 1998 à 2002, c’est-à-dire entre l’enregistrement de "I am...", son troisième album, et "Stillmatic", son cinquième. Les onze morceaux de ce disque (douze en comptant la piste cachée) sont donc des inédits, du moins sur le circuit commercial, car la plupart avaient pu être entendus par les fans sur différentes mix-tapes new-yorkaises.

La qualité parfois douteuse de certains titres de "I am...", "Nastradamus" ou avait de quoi laisser songeur quant à ce que pouvaient valoir ces "Stillmatic""Lost Tapes". Si Nas n’avait pas jugé bon de placer ces titres sur ses albums, n’allait-on pas se retrouver face à des chutes de studio sans intérêt ?

Et bien non. Malgré la volonté purement mercantile d'un tel concept, à peine camouflée par un petit texte dans le livret présentant la compilation comme un cadeau offert aux fans et ayant pour unique but de répondre à une "incredible street demand", Nasir Jones ne se fout pas du monde. Bien au contraire. On est loin des horribles 'We will survive', 'Dr Knockboot', 'Big Girl', 'You owe me' et autres 'Braveheart Party'. De par son contenu, "The Lost Tapes" ne vise pas le public radio dopé aux gros singles. A l’écoute de cette compilation, on est même tenté d’affirmer qu’elle représente le projet de Nas le plus proche de "Illmatic". Le Nas que l’on retrouve ici est à des lieues du mafioso mégalo de pacotille Nas Ecobar et de Nastradamus, le prophète des cages d’escaliers. Ca n’est pas non plus le Nasty Nas qui avait rendu accro plus d’un auditeur en 1994. C’est Nasir Jones, l’homme, qui rappe ici.

Celui-ci s'affirme à travers des textes souvent introspectifs, mêlant souvenirs personnels et messages adressés à l’ensemble de la communauté noire américaine. Avec cette écriture par succession d’images toujours aussi fascinante et percutante, Nas dépeint l’atmosphère des années 1980 sur 'Doo Rags', se rappelant des vieux jours à la manière de Raekwon et Ghostface, tout en critiquant l’armée et la situation des Noirs dans la société américaine. Dans 'My Way', il rend un hommage émouvant à son ami Ill Will tué sous ses yeux tout en s’interrogeant sur son succès ("Never knew murder ‘till I seen my man get poped. No blood soaking, laying there, eyes still open. I got a little closer, put my hand in his palm. He was looking right through me, staring beyond. I wonder what he saw: the limoes, movies and tours? Did he die in vain and represent for the cause? Now I put his name on everything I’m involved…"). 'Poppa was a playa' est l’occasion de rendre hommage à ses parents sur la boucle d’Eddie Kendricks déjà utilisée par Akhenaton sur son célèbre 'Bad Boys de Marseille'. 'Fetus', le morceau caché, est, comme l’indique le titre, le récit des quelques mois passés dans le ventre de sa mère.

On trouverait difficilement des reproches à faire à Nas sur le plan technique. Sa voix est toujours aussi agréable à écouter, reconnaissable entre mille, son flow s’adapte à tous les types de tempos, des plus lents au plus rapides. Son écriture, relayée à la perfection par son flow et sa capacité à faire passer toutes sortes d’émotions au travers de sa voix, se fait tantôt amusante ('Fetus') tantôt tragique ('My way'), tandis que ses intonations traduisent l’énervement ('Blaze a 50'), l’ivresse('Drunk by myself') ou la résignation ('Nothing Lasts Forever'). "The Lost Tapes" démontre une fois de plus que Nas est l’un des tous meilleurs emcees américains, donc du monde. Il lui suffit juste de poser sur de bons instrus.

Et là encore "The Lost Tapes" surprend. On s’attendait à quelque chose d’incohérent, de décousu. Des producteurs très différents les uns des autres, des morceaux datés de 1998 à 2002. Les albums de Nas étant rarement homogènes, le résultat risquait ici d’être calamiteux. Mais il n’en est rien. La plupart des morceaux dégagent une impression de mélancolie, dans les thèmes traités comme dans les choix d’instrumentaux, rappelant 'Memory Lane' par leur atmosphère générale. Nas semble se plaire à rapper ses souvenirs et états d’âme sur quelques notes de pianos, que celles-ci soient l’œuvre de Precision, Alchemist ou L.E.S. Mais samples de pianos et de cordes sont aussi utilisés pour des morceaux plus énergiques comme sur 'Blaze a 50', 'Black Zombie' ou 'Everybody’s crazy'. Sans rien avoir d’exceptionnel, ses instrus ont le mérite de coller parfaitement au propos de Nas et de rester simples, ne venant pas parasiter son rap. La seule déception de cette compilation provient de la prod de 'No Ideas Original' signée Alchemist, recyclant un gros sample du 'I'm gonna love you just a little more babe' de Barry White. Mention spéciale pour l’auteur du beat de 'Fetus', tout simplement parfait.

Plus qu’une simple compilation, "The Lost Tapes" s’avère être, après "Illmatic", la meilleure introduction possible à l’œuvre de Nas. Cette compilation, plus cohérente que certains albums de Nasir Jones, est, même s'il peut sembler étrange d'affirmer cela, son deuxième meilleur disque. Au fil des écoutes il se révèle même envoûtant.

Nas - I am... (1998)


Chronique publiée sur le site Abcdrduson.com en octobre 2006.

Il y a des albums dont on préfèrerait ne pas parler. On les évite, on fait semblant de ne pas les voir mais ces salauds vous reviennent toujours dans les pattes. Alors ils vous fixent avec leurs grands yeux humides et leurs têtes de chiens battus, l’air de dire : "Pourquoi tu m’esquives ? Je pue ?". Eh bien oui, tu pues, mais allons-y quand même puisque c’est ce que tu veux.

"I am..." de Nas, donc. Sorti deux ans après le semi-échec commercial et musical de "The Firm", ce troisième solo du rappeur de Queensbridge devait à l’origine être un double album ; Nas préféra finalement le scinder en deux, se réservant la sortie du second LP, "Nastradamus", pour la fin de la même année 1999.
C’est aussi pour lui l’occasion d’enfiler son deuxième déguisement. Après avoir été simplement lui-même (ou ce qu’on souhaiterait qu’il soit) le temps d’un classique intemporel et d’un bon second album, Nas s’était pris au jeu du rappeur-mafioso avec mandolines, costards et cigares. Le voilà à présent pharaon. Il muera plus tard en prédicateur visionnaire, puis très humblement en fils de Dieu.

Mettons les choses au clair : "I am..." est le plus mauvais disque de Nasir Jones. Pas un disque complètement pourri, Nas étant, dixit un journaliste de feu Radikal, trop talentueux pour cela, mais une œuvre faisant malgré tout tache dans sa discographie. Qu’y a-t-il donc de si honteux dans ce joli boîtier en plastique ? (Presque) Rien de véritablement scandaleux mais pléthore de titres plats et convenus, recyclages de concepts aussi originaux qu'un nanar de Charles Bronson – c’est dire. Pour être tout à fait honnête, seuls trois morceaux, quatre ou cinq en étant large, sauvent cet album d’une revente immédiate au Cash Converters du coin.

L’écoute de "I am...", c’est avant tout l’histoire d’une longue traversée du désert ponctuée de coups d’éclat géniaux (deux pour être précis : 'N.Y. state of mind pt.2' et 'Nas is like' produits par DJ Premier) et de sursauts d’orgueil salvateurs ('Small World', 'Big Things' et, dans une moindre mesure, 'Money is my bitch' et 'Undying Love'). Le reste n’est malheureusement qu’avalanche de plans plus ou moins foireux, avec une gestion des refrains particulièrement désastreuse.

Tout avait pourtant bien commencé avec le successeur du 'N.Y. state of mind' d'"Illmatic", toujours produit par un Primo au top, Nas lâchant un texte dans la droite lignée de ses esquisses new-yorkaises classiques le mettant en scène dans les rues de QB ("I'm at the gamblin’ spot, my hands on a knot, New York Yankee cap cover my eyes, stand in one spot...").
Mais dès 'Hate me now' l'auditeur commence à douter. Illustrant parfaitement la situation de Nas à la fin des années 90, oeuvre d'un artiste coincé entre la rue et les charts sans trop savoir sur quel pied danser - entre 'Nas is Like' et 'Dr. Knockboot', 'N.Y. State of Mind' et 'Money is my bitch' - ce morceau prend, au regard de sa carrière, une résonnance particulière : il définit complètement le personnage, qui semble traîner son premier album comme un bagnard traînerait son boulet. Avec 'Hate me now' Nas entend se libérer des critiques et des reproches : se sentant victime d'incompréhension, ce morceau est celui d'une explosion. Malheureusement, la forme choisie dessert le propos : trop de grandiloquence (le clip christique, le refrain de Puff Daddy, l'instru...) rendent le morceau agaçant.
Le reste confirme ces premiers doutes : hommage ennuyeux et convenu ('We will survive'), chant de révolte entre deux coupes de champagne ('Ghetto Prisoners'), morceau club gavant ('You won’t see me tonight'), protest-song de studio ('I want to talk to you'), variante rap de 'La bite à Dudule' des fins de banquets ('Dr. Knockboot')... DMX a beau japper de tout son cœur sur 'Life is what you make it', il n'arrange rien.

C’est donc dans un état de consternation compréhensible, bien qu'adouci par un 'Big Things' courageux joliment produit par Alvin West, que Mr. DJ Premier vient cueillir l’auditeur. On ne prendra pas un gros risque en affirmant qu’il sauve l’album en deux prods, tirant par la même occasion Nas de sa torpeur. Dès le kick inaugural de 'Nas is like' le sourire revient. Tous les ingrédients chers au maître new-yorkais sont là : samples ciselés, beat fracassant, refrain scratché nerveusement. Nas se lance alors dans un de ces egotrips cosmiques enflammés dont il a le secret, et signe la tuerie que l'on connaît.

Après cet heureux intermède, l’album s’écoule sur le même faux-rythme qu’il avait commencé : un 'K.I.SS.I.N.G' guimauvesque gluant, un 'Money is my Bitch' porté par un bon beat et un rap énergique mais plombé par sa thématique matérialiste peu imaginative et un 'Undying Love' sympathique, voire même très bon, concluant "I am..." de manière symbolique et significative puisqu’en partie gâché par un pauvre refrain chanté. Mais c’est là pinailler ; quand on a subi les pistes 6 à 11 et malgré tout passé l’épreuve, on ne s’arrête plus à ce genre de détails.

Les fameux fans de la première heure avaient crié à l’hérésie à l’écoute de certains titres de "It was written". Le projet "The Firm" n’avait pas vraiment de quoi les rassurer. Leurs appréhensions quant au contenu de "I am..." sont justifiées : à quelques exceptions près, prods et raps semblent creux et insipides ; par euphémisme, disons que ce disque n’est pas terrible. Etrangement, en 1999, Nas paraît embourbé dans son succès et sa notoriété, ne parvenant pas à s’arracher pour donner le meilleur de lui-même et emporter ainsi l’adhésion de la "base" et du grand public, au contraire d’un autre MC new-yorkais, originaire de Marcy et alors en pleine ascension. Indéniablement décevant, "I am..." conserve malgré cela un intérêt non négligeable : celui d'avoir valeur de borne, de jalon sur l'ensemble de la carrière de Nas ; un intérêt historique en somme. Le temps des fines esquisses et des premiers succès passé, le MC s'attaque alors aux gros tubes. Rêvant sans doute son troisième album comme le blockbuster satisfaisant tout le monde, il ne réalise au final qu'un disque hésitant et pataud, qui paraît trébucher sans cesse.

Cormega - The Testament (2005)


Chronique publiée sur le site Abcdrduson.com en février 2007.

"The drama is a part of me."
Cormega - 'Killaz Theme'

Révélé par son très bon couplet sur 'Affirmative Action' ("It Was Written") en 1996, Cory McKay, alias Cormega, aurait logiquement dû sortir son premier album dans la foulée. Mais ses déboires avec Def Jam, accompagnant son éviction de dernière minute du groupe The Firm, l'en empêchèrent : "The Testament" ne verra le jour qu'en février 2005 sur son propre label, Legal Hustle Entertainment ; huit ans après sa réalisation.

Pas étonnant, donc, que cet album rappelle souvent l'âge classique de Queensbridge, celui des années 1995-1998. Mobb Deep apparaît d'ailleurs sur 'Killaz Theme', tandis que Havoc se charge en solo du refrain de 'Angel Dust' : déjà entendus en maxi et sur différents bootlegs, ces deux morceaux ont plutôt bien vieilli et restent efficaces.

Pur produit du Queens, Mega excelle dans les récits sombres, empreints d'une violence froide. Aidé en cela par des instrumentaux graves et volontiers lugubres, emplis de samples de cordes appuyés par des rythmiques pesantes ('Montana Diary', 'Angel Dust', 'Killaz Theme', 'Dead Man Walking') et parfois réhaussés par une voix soul (les deux versions de 'Testament'), il mêle habilement storytelling et egotrip. Entre les exécutions sommaires de Kool G Rap époque 'Executioner Style' ? en moins démonstratif ? et les rêves d'un Nasty Nas (fascination pour le personnage de Tony Montana), Cormega oscille et se crée un style personnel, constatant la violence de son environnement sans en tirer ni gloire ni fierté. S'il se prête par instants au jeu de la surenchère gratuite comme Prodigy et Havoc, il conserve la plupart du temps la plume lucide et éclairée par ses séjours à l'ombre ('Every Hood', 'Love is Love' ou encore 'One Love', réponse amicale au titre du même nom de Nas).

Ce dernier prend ici une importance toute particulière, quand on sait l'évolution que prendra au cours des années suivantes la relation Nas/Mega. 1994 : Nas sort "Illmatic" alors que son pote Cormega ("You should know the situation 'cause we're dealin' with the same crew") se trouve incarcéré ("Did time for cocaine, knives, and armed robbery", sur 'Killaz Theme'). Il lui fait un clin d'oeil dans le morceau 'One Love' ("What up with Cormega, did you see him, are y'all together?") - auquel Mega répond ici, sous la forme d'une lettre. A sa sortie de prison, Nas est en train de monter le collectif The Firm avec AZ et Foxy Brown. Il y intègre son ami : l'acte de naissance du crew est un morceau anthologique, 'Affirmative Action', posé sur le second opus de Nas. Mais, vicissitudes du business et embrouilles personnelles obligent, Nasir Jones l'éjecte au dernier moment - l'expression "comme une merde" semble tout à fait appropriée - de The Firm et le remplace par Nature. Dès lors, ce sera la guerre entre les deux hommes, entrecoupée d'éphémères réconciliations. Queensbridge, ton univers impitoyable...

"Aiyyo this crime addict mind, my rhyme status shines like a nine 'matic..." ('Angel Dust')

Contant ses histoires avec une voix nonchalante que l'on qualifierait presque d'insouciante et de candide si elle ne semblait pas si écorchée, Cormega démontre ici qu'il est un MC unique. Maître dans l'art de la phrase-choc (écoutez le fabuleux 'Dead Man Walking' ou 'Angel Dust' pour vous en convaincre), il fait montre tout au long de "The Testament" de grandes qualités d'écriture ; une écriture simple, imagée et limpide qui trouvera son point d'orgue en 2003 sur "The True Meaning", son meilleur album. Avec ce style fait à la fois de résignation et de détermination, Mega fait mouche sur chaque titre et dégage une sincérité touchante, quel que soit l'exercice auquel il se livre, à moins que celui-ci ne soit en partie gâché par un refrain chanté édulcorant inutilement l'ensemble. Même la thématique féminine, écueil pourtant habituel des disques de rap, est abordée ici de manière convaincante ('Coco Butter').

Sorti malheureusement beaucoup trop tard pour être apprécié à sa juste valeur et trouver un intérêt aux yeux d'un public large, "The Testament" n'en demeure pas moins un très bon disque de rap made in QB. Classique dans sa forme musicale mais révélant déjà un MC d'un excellent niveau méritant autant d'attention que ses contemporains Nas ou Prodigy, il laisse un goût amer : celui d'une carrière qui aurait pu décoller mais restera à jamais limitée à une base de fidèles. Il séduira en tout cas les amateurs de rap new-yorkais, même si ceux-ci connaissent a priori déjà la plupart des morceaux.

Akhenaton - Soldats de fortune (2006)


Chronique publiée sur le site Abcdrduson.com en mars 2006.

Six années séparaient "Métèque et Mat" de "Sol Invictus".
Si l’on oublie volontairement le "Black Album", constitué de morceaux enregistrés originellement pour "Sol Invictus" et de divers inédits, cinq années se sont écoulées depuis la sortie du dernier album solo d’Akhenaton.

Les durées sont quasiment identiques et pourtant la nature de l’attente est totalement différente. L’excitation et l’impatience qui précédaient la sortie du LP de 2001 se sont transformées en indifférence, voire en appréhension. Celui qui hier encore était considéré comme l’une des plus grandes plumes du rap français n’apparaît plus aux yeux d’une partie du public rap que comme une ancienne gloire à présent dépassée et démodée, un has been tâchant tant bien que mal de s’accrocher aux branches. Les jeunes générations lui préfèrent les nouveaux poids lourds que sont Rohff, Booba ou Diam’s, et les fans de la première heure lui reprocheront toujours de ne pas refaire "Métèque et Mat". Le discours et la musique d’Akhenaton peuvent-ils aujourd’hui trouver grâce aux oreilles de quelqu’un ?

C’est la question qui s’impose à l’écoute de ce "Soldats de Fortune", tant le rappeur phocéen paraît avoir, appelons un chat un chat, le cul entre deux chaises, tiraillé entre deux publics, entre deux âges. C’est, du coup, la cohérence de son album qui s’en ressent.

Ce manque de cohérence et de logique dans les enchaînements frappe dès la première écoute. On passe par exemple du mélancolique 'Canzone Di Malavita', doux et triste, à 'Live dans la discothèque' bardé de sonorités électroniques et d’egotrip. De même, seulement deux pistes plus loin se succèdent un morceau "politique" posé sur une instru calme et feutrée, 'Déjà les barbelés', et un morceau diamétralement opposé, 'Cosca Crew Party', gonflé de testostérone et d’énergie, façon "je mets le feu dans le club", à l’américaine. Ces coupures violentes et l’absence apparente de fil conducteur empêchent l’auditeur de rentrer pleinement dans le disque. "Soldats de Fortune" ressemble en effet plus à une compilation de morceaux qu’à un album véritablement réfléchi.

Le discours général est celui du Akhenaton post-11 Septembre, déjà en germe sur "Sol Invictus" et développé avec insistance sur "Revoir un printemps" d’IAM. Grossièrement, on peut le résumer à quelques thématiques : le rejet du monde occidental, l’amour du hip-hop et le passé, "son" passé.
Si sa façon de traiter le premier de ces thèmes s’affine –on sort du systématique et caricatural "gentil Orient contre le méchant Occident"-, il n’en demeure pas moins que cela s’avère rapidement lourd pour qui a déjà écouté avec attention le dernier album d’IAM.
"Le hip-hop, ouais, c’est ça qu’on avait dans le sang". L’amour du hip-hop, leitmotiv des textes de Chill depuis longtemps (on se rappelle avec plaisir du terrible 'La Face B', sur "Métèque et Mat"), est ici aussi de mise, pour le meilleur ('Bronx River'), comme pour le pire, lorsque la chasse aux faux MC's est ouverte ('Comode "Le Dégueulasse"', sans doute, avec 'Teknishun' et 'J’ai vraiment pas de face', le plus mauvais morceau d’Akhenaton de tous les temps).
Mais c’est indéniablement lorsqu’il parle de lui-même et de son passé qu’il est le meilleur. Ce sont également les morceaux les plus douloureux pour tout amateur d’Akhenaton ayant grandi en écoutant sa musique, car l’on se rend compte alors que sa finesse d’écriture et sa capacité à décrire des moments passés avec une simplicité et une sincérité telles que tout auditeur s’y retrouve sont toujours présentes, et qu’il en faut peu pour que la magie qui faisait de "Métèque et Mat" un album hors du commun opère à nouveau. Seul son acharnement à vouloir prouver qu’il a eu une enfance pauvre et a fréquenté des gens dangereux et violents agace. Ainsi, 'Du Mauvais côté des rails', le magnifique 'Mots Blessés', 'Canzone di Malavita' ou 'Sur les murs de ma chambre' sont sans aucun doute les meilleurs titres de ce "Soldats de Fortune".

Akhenaton assure lui-même l’intégralité de la production de cet album, à l’exception du très bon 'Bronx River' dont se charge Hal, le beatmaker du groupe Chiens De Paille.
Le reproche majeur fait à cet album est la trop forte présence d’instrus électro, et par conséquent le recours de moins en moins fréquent aux samples, dont étaient auparavant chargées les productions d’AKH. Ces instrus sont effectivement souvent regrettables tant les ronflements électroniques incessants sont désagréables à l’oreille. Akhenaton lui-même ne paraît pas à l’aise dessus, comme s’il n’était pas fait pour poser sur ce type de sons. Ces beats constituent donc les principaux points faibles de ce disque : 'Live dans la discothèque', 'L’Ecole de Samba', 'Cosca Crew Party', 'One Luv'. Seul le titre éponyme, 'Soldats de Fortune' s’en sort mieux.
Les morceaux sont immédiatement plus plaisants lorsqu’il compose des instrus plus "classiques". On soulignera particulièrement l’excellent 'Déjà les barbelés' et le travail discret et efficace de Sya Styles, le DJ des Psy 4, qui, en retrait, ponctue le beat de divers scratchs. Les samples de piano et de cordes sur 'Mots Blessés' sont là encore en adéquation parfaite avec le thème traité, de même que sur 'Bien Paraître'. Comme sur certains titres de "Revoir un printemps", AKH fait parfois appel à des musiciens extérieurs, pour un résultat toujours convaincant, comme par exemple pour jouer la flûte et la guitare de 'Alamo' ou encore les cuivres de l'instru très militaire de 'Entre la pierre et la plume'. Le remix de 'Quand ils rentraient chez eux', qui sur le papier, laissait présager un titre bouche-trou, est au final très touchant musicalement, le mélange entre sampling et parties jouées par des musiciens formant un titre homogène excellent et plein d'émotion.

Aussi étrange que cela puisse paraître, les différentes prestations de Shurik’n sont la meilleure surprise de cet album. Qu’il se charge de chanter les refrains, adopte des intonations rocailleuses en forçant sa voix ('Cosca Crew Party'), avec un flow rigide de guerrier en marche ('Entre la pierre et la plume') ou souple ('La Fin de leur monde'), il fait montre d’une palette de styles qu’on ne soupçonnait pas chez lui, et qui s’avère véritablement impressionnante. Son couplet sur 'La Fin de leur Monde' est, tant en termes de technique que d’écriture, mémorable. Sako, qui semble avoir encore allégé son style, se montre impeccable lors de ses trois apparitions, particulièrement sur 'Bien paraître', où il évoque ses racines italiennes et la découverte du village d'origine de sa famille, et sur 'Déjà les barbelés'.
Au contraire, les autres invités sont loin de convaincre. On ne s’étendra pas sur la prestation de Faf La rage sur l’infâme 'Comode "Le Dégueulasse"' ("T’es mou comme Miou-Miou, ton style est pas cool mais vilain comme une poupée vaudou", "t’es pas tout puissant comme Bruce mais tu suces..." et ainsi de suite). Quant à Veust Lyricist et aux Psy 4 De La Rime, ils ne démontrent rien et sont même plus poussifs qu’autre chose.

Finalement, "Soldats de Fortune" ne parvient pas à convaincre l’auditeur. Manquant de cohérence et semblant constamment hésiter entre différentes directions, il donne une impression de fourre-tout, d’assemblage de titres sans véritable réflexion artistique derrière. A bientôt quarante ans, Akhenaton paraît à un moment décisif de sa carrière. Il lui faut faire un choix, et ne pas hésiter à viser le public qui est aujourd’hui le sien : un public mature, ayant grandi en l’écoutant et attendant de lui qu’il continue de traiter des thématiques personnelles, pas des leçons de civisme moralisatrices et lassantes (on pense ici à la dernière page du livret de l’album, rappelant les démarches pour s’inscrire sur les listes électorales) ou dans le style dancefloor, qui convient bien mieux à d’autres. On espère simplement que d’ici quelques années, pour son prochain album solo, Akhenaton redeviendra cet homme qui voulait "vivre avec le calme comme essence".

Nid d'ombres


Billet publié sur le blog Details Matter en décembre 2007.

Dans "Les Promesses de l’ombre", de David Cronenberg, une scène m’a particulièrement marqué. Précisons tout d’abord que ce film n’est pas avare en scènes mémorables : de l’assassinat au rasoir jusqu’au combat dans les bains publics en passant par la cérémonie d’initiation, les images se gravent automatiquement dans l’esprit du spectateur, par leur beauté ou leur violence brute. Parfois les deux.

Mais il en est une à côté de laquelle, je pense, beaucoup de gens ont dû passer. Nikolaï (Viggo Mortensen) et Kirill (Vincent Cassel) se trouvent tous deux au bordel. Les putes sont propriété de leur famille mafieuse. Saoûl, Kirill, qui est le supérieur de Nikolaï, oblige ce dernier à choisir une prostituée et à coucher avec elle devant lui. Il veut, dit-il, vérifier que Nikolaï n’est pas homosexuel.

La caméra tourne alors lentement et balaie la pièce, passant brièvement sur les visages des prostituées, jeunes filles venant d’Europe de l’Est, qui croyaient trouver à Londres un avenir meilleur. C’est ce moment-là, quand la caméra capte les regards. Ce qu’on y voit ? Un mélange de tristesse et de résignation, frappant et vraiment troublant. Pas quelque chose qui donne l’impression d’être joué, mais vécu, intériorisé. Réel. Au point que je me suis demandé s’il s’agissait d’actrices.

Ce moment-là – et d’autres – renvoie directement à ‘Nid de guêpes’, un morceau d’Akhenaton disponible sur son "Black Album" et qui raconte l’itinéraire d’une jeune Roumaine enlevée pour finir sur le trottoir à Nice. Puis morte sous un abribus. "Les promesses de l’ombre" n’est pas directement un film sur la prostitution – du moins ce n’est pas son thème central. Mais Akhenaton et Cronenberg en parlent en suivant le même mode de narration, via le journal intime d’une "fille de l’Est", comme on dit, découvert après leur mort. Bouleversant morceau d’Akhenaton, soit dit en passant.

"Yeux tristes dans l’étreinte de gens sans amour, gens sans avenir, gens sans atours, gens qui la serrent mais à ses cris demeurent sourds."

C’est ce que le rappeur marseillais écrit. Et c’est ce qui paraît flotter au-dessus de cette scène, entre la barre de strip-tease froide, la violence de Kirill et les corps offerts de force et pris pour passer le temps.

mardi 26 février 2008

Braille - Box Of Rhymes (2006)


Chronique publiée sur le site Abcdrduson.com en février 2007.

A l'âge où nous partagions nos mercredis après-midi entre "Tekken II", "Crash Bandicoot" et autres parties de foot improvisées sur le bitume, le petit Bryan Winchester rencontra Dieu. Sa vie en fut bouleversée : il avait trouvé la Voie – sans perdre la tête.

Depuis, les années ont passé. L'enfant de chœur est devenu MC sous le nom de Braille ; il fait partie d'un groupe "éclairé", Lightheaded, a créé son propre label, Hiphop is Music, et sort aujourd'hui son troisième album solo, "Box of Rhymes".

Celui-ci ressemble plutôt à une compilation : une dizaine de producteurs pour quinze titres, un remix, une absence manifeste de liant entre les morceaux. Sortie initialement au Japon dans une version quelque peu différente, cette "boîte de rimes" présente pourtant les deux principales facettes du personnage. D'une part, le jeune marié simple et croyant ; de l'autre le showman survolté dévoué corps et âme à son art, les deux s'entremêlant parfois.

Par moments excessif dans ses démonstrations de foi ('End of the World', 'Together not Alone'), Braille dégage cependant une sérénité tranquille et positive, seulement lézardée par quelques moments de doute ('Pour it out'). On finit presque par l'envier, à le voir tirer force et humilité de sa croyance, chaque jour incité à devenir un meilleur homme tout en conservant un émerveillement naïf et enfantin face à la vie, la nature et ses proches ("I'm so glad to wake up and see the sunrise. I see the natural beauty outside, I see the beauty staring in my wife's eyes", 'Leave Behind'). Dès lors, si vous êtes sensible à ce type de discours, la dimension humaine et universelle de ces textes saura vous toucher. Dans le cas contraire l'ensemble vous paraîtra vite lourd et niais ; rabattez-vous alors sur les morceaux où s'exprime le Braille-showman.

Ecrit entre sa base arrière de Portland (Oregon) et le continent européen au cours de la tournée où le MC accompagna notamment James Brown, "Box of Rhymes" comporte une bonne part de titres dont l'orientation scénique est évidente. Testés lors de concerts, ces morceaux sont, d'un point de vue musical et technique, les plus enthousiasmants du lot. Ainsi, l'enchaînement de 'Evacuate' et 'Box of Rhymes', tous deux scratchés par DJ Idull, est quasiment parfait. 'Fresh Coast' et 'Survival Movement', produits par Ohmega Watts, rappellent l'ambiance du "Wrong Way" de Lightheaded mais lassent rapidement, même si Braille y démontre une nouvelle fois ses qualités de MC (débit rapide et saccadé, voix nasillarde accentuée).

Plutôt bons dans l'ensemble, les instrus ne parviennent pourtant pas à recréer la magie de "Shades of Grey". C'est le défaut majeur de ce nouvel opus : là où son prédécesseur était brillant et inspiré, celui-ci se révèle plus terne, car "seulement" bon. Par conséquent, quand vous prend l'envie d'écouter du Braille, vous vous tournerez plus volontiers vers "Shades of Grey" que vers ce "Box of Rhymes". Tony Stone est en deçà de ce que l'on pouvait espérer de lui. En dehors d'un beat énergique et cuivré ('Box of Rhymes'), il livre un 'Antenna' assez fade et un 'Pour it out' ressemblant à ce qu'il a pu faire par le passé, en moins bon. A l'exception de 'Leave Behind' basé sur une guitare sèche, du travail autour du sample vocal sur 'I wouldn't do it' et du sec et nerveux 'Enter-Gritty' enregistré au Danemark, la production de l'album, sans être mauvaise, ne marque pas vraiment les esprits.

Décevant pour ceux qui ont succombé aux charmes de "Shades of Grey", ce troisième album compte certes quelques très bons titres, mais surtout beaucoup trop de morceaux moyens et sans réelle envergure. Equilibré mais inégal et manquant globalement de cohésion, "Box of Rhymes" est ce que laisse entendre son titre : une boîte pleine de rimes, un peu bordélique, dans laquelle l'auditeur piochera, selon son humeur, morceaux introspectifs ou explosifs, réfléchis ou instinctifs. Un disque de rap agréable, donc, à défaut d'être un grand album.

Braille - Shades Of Grey (2004)


Chronique publiée sur le site Abcdrduson.com en mars 2006.

Membre avec Ohmega Watts et Othello du groupe Lightheaded auteur de l’excellent "Pure Thoughts" en 2002, Braille est un jeune rappeur originaire de Portland (Oregon). En 1999, alors qu’il était seulement âgé de dix-sept ans, sortit son premier album solo, "Lifefirst: half the battle". Cinq ans, quelques featurings et plusieurs maxis plus tard, il passe la barre du deuxième LP solo avec "Shades Of Grey".

La première écoute est une claque. Tout commence par un sample d’opéra. Puis arrive le emcee, qui se contente pour l’instant de parler ("Right this moment, it’s all about right now (...). You are listening to Braille. It’s been a long time coming. No doubt…"). Rien de bien extraordinaire jusque là. C’est son entrée sur le beat qui déclenche le premier sourire satisfait, qui sera suivi de bien d’autres au fil des morceaux. Le flow est vif, sec et nerveux ; la voix légèrement nasillarde ; l’adéquation entre les deux parfaite. L’ensemble s’avère immédiatement efficace.

Chaque titre de ce disque, à sa manière, fait mouche. Rien de révolutionnaire certes, mais on retrouve tout au long de cet album une constance qui fait réellement plaisir. Aucun point faible, aucun temps mort.

Les instrus brillent par leur diversité. En dehors des rythmiques sèches, il est difficile de définir la couleur musicale de "Shades Of Grey". La qualité est le seul point commun. Braille sait choisir les sons qui lui permettront de s’illustrer : la guitare sèche de 'It won’t last', les riffs violents de 'Microphone Rush' et 'Goliath', les cuivres sur le refrain de 'The Find', la voix pitchée, les cordes et les quelques notes de guitare électrique sur 'Keep On', le piano de 'Let Go' et 'Nobody' ou encore l’orgue et le piano de 'Soul Rock' le démontrent et forment la base impeccable pour le rap dynamique du jeune MC.

Trois titres sortent du lot. Il s’agit tout d’abord de 'Hiphop Music', ode au rap appuyée par les scratches de Rob Swift sur des samples conquérants de violons et de cuivres. Braille y développe sa vision du rap, partagée entre amour et rejet ("I got a love/hate relationship with hiphop, it frustrates me. It can break these rusty chains or drive me crazy. (...) The truth is, hiphop is diverse as earth is. What a man speaks reflects the world he’s immersed in and the condition of his heart, it’s hard to judge it"). 'Poetry in motion part 2' est sans aucun doute le meilleur morceau du disque. Le flow nerveux, la voix, l’instru (beat sec, sample vocal, orgue, métallophone, guitare), les scratches sur le refrain et un texte de qualité parsemé de références aux "grands" du hiphop ("I’m a Microphone Fiend, grip it tight till my palms hurt and Move the Crowd like I relocated my concert. Calm your nerves (catch your breath) Relax with Pep. I flow six days a week, on the seventh I rest. (…) I’m down for the cause, keep it moving like a nomad, never leave home with out the pen and the pad. Poetry in motion like graffiti on trains, I tag my name on your heart and things will never be the same after this") : tout y est. Enfin, 'Shades Of Grey' s’impose en toute fin de disque dans un style magistral et cinématographique. Les instrus de ces trois morceaux sont l’œuvre de Tony Stone, la grosse découverte de ce disque en termes de production.

Braille est le plus souvent catalogué comme "rappeur chrétien". S’il semble en effet imprégné de religiosité, cela ne vient que très rarement alourdir ses textes. Il reste toujours une sorte de morale chrétienne en toile de fond mais Braille évite d’asséner des leçons à grands coups de Bible. Il s’affirme seulement comme jeune homme croyant en Dieu, marqué par la foi mais de façon bien moins lourde que LMNO par exemple, même s’il dit avoir choisi le pseudonyme de Braille parce qu’il "fait découvrir aux gens ce qu’ils ne peuvent voir par eux-mêmes". Ce qui ressort le plus des textes de Bryan Winchester, c’est une humilité et une remise en question permanentes.

Au final, vous l’aurez compris, cet album est excellent. Des choix d’instrumentaux irréprochables, un flow nerveux, des qualités lyricales et un garçon humble, sympathique et attachant : voilà à quoi s’attendre avec ce "Shades Of Grey". Du rap conscient mais pas chiant. La qualité de l’album d’Ohmega Watts "The Find", sorti en 2005, associée à celle de cet album de Braille laisse donc présager du meilleur quant à l’album de Lightheaded sorti en janvier. "Need I say more? I let the music speak..."

Lightheaded - Wrong Way (2006)


Chronique publiée sur le site Abcdrduson.com en septembre 2006.

Déjà auteur en 2003 d'un vivifiant premier album ("Pure Thoughts"), le trio Lightheaded – Muneshine ayant, depuis, quitté le navire – revient en 2006 avec "Wrong Way". Entre ces deux disques, Braille (MC), Othello (MC) et Ohmega Watts (MC, producteur et graphiste) auront pris le temps de peaufiner et de mener à terme leurs projets solos.

Si vous avez eu l’occasion de jeter une oreille à l’excellent "Pure Thoughts", ne vous surprendra pas : le groupe signe là un nouvel opus de qualité ; quinze titres de boom-bap enjoué dans la veine de People Under The Stairs, d'Ugly Duckling ou des Procussions. Ignorant totalement les tendances actuelles, le trio originaire de Portland (Oregon) reste ancré dans le hip-hop du siècle dernier, multipliant hommages et clins d'œil à leurs aînés sous forme de scratches et de citations (en vrac : les Fat Boys, Biz Markie, Nas, Big Daddy Kane, KRS One, Rakim...). Plaisant d'un bout à l’autre, "Wrong Way" flirte même par instants avec l'anachronisme : plaisir de rapper perceptible dans chaque couplet, flows aiguisés et rapides tout en conservant des textes parfaitement intelligibles, récurrence des scratches, ensemble très rythmé ; ce classicisme réjouissant semble d'un autre temps, d'un autre monde.

Tout au long de l’album les trois MC's restent parfaitement complémentaires et complices, qu'ils rappent chacun leurs couplets ou se partagent ceux-ci en "pass-pass", dialoguant sur le beat. Si Othello et Braille évoluent sensiblement dans le même registre – flow rapide, voix parfois nasillarde (bien qu'un brin plus aigue chez Braille) – Ohmega Watts paraît plus posé, calmant le jeu de sa voix grave, modérant l'allure avec un flow plus lent que celui de ses collègues. Cette diversité est appréciable : au rythme où ils rappent la plupart du temps, Braille et Othello auraient pu assez rapidement lasser l’auditeur. La présence d'Ohmega Watts fait qu’il n'en est rien ; et les deux MC's eux-mêmes profitent d'instrus moins énergiques pour s’accorder un peu de répit ('Short Stories', 'Eye to Eye') entre deux couplets virtuoses ('UHH !', 'Orientation', 'In the Building', 'Showcase'). Les textes restent dans la lignée du précédent opus : spiritualité du quotidien, petites histoires, amour du hip-hop, le tout saupoudré de quelques doses d'egotrip. Toujours empreints de religiosité, ils évitent habilement le prosélytisme lourdaud.

Le départ de Muneshine, qui produisait l’intégralité de "Pure Thoughts" laisse la porte ouverte à de nouveaux beatmakers. Le MC/producteur Ohmega Watts, auteur en 2005 du prometteur "The Find", prend en charge la majorité des instrus (9 sur 15) et se distingue par le soin apporté aux rythmiques, toujours claires et marquées, tandis que ses samples variés (cuivres, claviers, guitares...) parfois retravaillés à l’aide d'effets les rendant mouvants, flottants et lointains créent des atmosphères étranges, à la fois vaporeuses et nettes ('Short Stories' et 'Individually Wrapped' notamment). Tony Stone, révélé par son travail remarquable sur le "Shades of Grey" de Braille, produit deux titres de qualité ; mais c'est le travail de Stro the 89th Key, du groupe The Procussions, qui émerge le plus de ce projet : 'Afraid of the dark', alliance efficace de cuivres et de guitares électriques, s’impose comme le meilleur titre de "Wrong Way", suivi de près par 'Eye to Eye' et son envoûtant sample vocal.

Un cran au-dessus de "Pure Thoughts", la cuvée 2006 de Lightheaded séduira à coup sûr les amateurs de boom-bap ensoleillé. Sans rien réinventer, le trio de Portland applique une formule maintes fois éprouvée : raps de qualité, textes fins, bons beats et scratches (dont ceux de Rob Swift sur deux titres). Difficile d'y résister.

Surreal & DJ Balance - Future Classic (2006)


Chronique publiée sur le site Abcdrduson.com en octobre 2006.

L’année 2006 est décidément riche en sorties pour le tout jeune label de Braille, Hiphop IS Music. Après l'album de Sivion, "Spring of the Songbird", la compilation "Heavy Rotation" et le "Box Of Rhymes" de Braille destiné au territoire nippon, voici le premier album de Surreal & DJ Balance, "Future Classic".

Parfait inconnu originaire de Floride, Surreal n’est pas du genre à se perdre en fioritures : son flow file la plupart du temps droit, sans chercher à en mettre plein la vue. Simple et efficace, il enchaîne les rimes introspectives ('Each Step', 'Moment in Time', 'Let the horns blow'), festives ('Yeah Boy', 'Can't Stop the Bumrush'), timidement engagées ('The Proof'), ou personnelles ('Intro', 'Car and a Job') sans tenter de prouesses verbales. Parfois trop monotone malgré ses accélérations bienvenues sur 'Can't Stop the Bumrush' et 'Yeah Boy', Surreal montre ses limites lorsqu'il est en compagnie d’autres MC's, ces derniers l'éclipsant facilement. Il n'en demeure pas moins agréable à écouter, et "Future Classic" coule de l''Intro' à 'Let the horns blow' sans accrocs. (appréciez la rime)

S'il peut globalement être qualifié de "boom-bap jazzy", l'album est, musicalement, assez varié. Ohmega Watts surprend en livrant un beat pêchu rappelant M-Boogie ('Car and a Job') tandis que Tony Stone, accompagné par Sivion au saxophone, parvient à créer une atmosphère onirique planante parfaite pour les rimes intimistes de Surreal ('Let the horns blow') et que les Soundproviders visent juste en samplant une guitare électrique jazz ('Speak Facts'). Teintées le plus souvent de jazz (Moo, Bluemind...) ou de soul (Vintage, qui signe notamment le meilleur morceau du disque, 'Permanent Ink'), les instrus de "Future Classic" provoquent systématiquement de légers hochements de tête ; pas de bangers casseurs de nuques au programme mais des samples tranquilles et mélodieux sur des rythmiques basiques, à l’exception des nerveux 'Can't Stop the Bumrush' et 'Yeah Boy', qui n'auraient pas dépareillé sur le "Wrong Way" de Lightheaded. DJ Balance, lui, se contente d’assurer les scratches de l'album et signe deux interludes de qualité, 'One Man Band' et 'Writing 101'.

Avec des morceaux comme 'Permanent Ink' ou 'Intro' ("What I say now echoes in eternity...") et en intitulant cet album "Future Classic" , Surreal et DJ Balance affirment leur volonté de réaliser un classique. Intemporel, "Future Classic" l'est indéniablement par sa forme : peu de chances pour qu'il soit démodé d'ici un mois, ou même un an. Parler de classique à son sujet paraît pourtant présomptueux : d'autres albums jouant dans la même catégorie ont bénéficié d'un emceeing plus incisif. Mais il s'agit indéniablement d'un très bon disque, qui n'aura pas l'exposition médiatique qu'il mérite.
"Elle le fixait et les larmes roulaient sur ses joues.

- Earl, chéri, tu sais que j'ai jamais eu envie que de toi, donc me dis pas des méchancetés, je t'en prie.

Sa voix était solennelle et ses yeux pleins d'horreur.

- Tu peux me dérouiller tous les jours de la semaine, a-t-elle repris, je m'en fous, mais m'oblige pas à te quitter. Me fais pas ça.

Il y avait une intonation menaçante, dans sa voix, mais il n'y a pas fait attention.

- Supplie pas, salope, parce que ça sert à rien, a-t-il déclaré.

Puis il a tendu la main vers le bouton de la radio et cherché une station de jazz."

Donald Goines, "Street Players", 1973

Seven Star - Alternate Invention (2006)


Chronique publiée sur le site Abcdrduson.com en décembre 2006.

A Miami il n'y a pas que des flics, des blondasses à gros nichons et des vieux sacs de peau séchée pleins de fric attendant la mort au soleil. La patrie de la "Miami Bass" compte aussi son lot de rappeurs. Pas mauvais d'ailleurs, et plutôt actifs ces derniers temps. Certains ont persisté (Pitbull), ont explosé (Rick Ross), ou alors se sont vautrés dans la luxure jusqu'à plus soif (Trick Daddy, Trina). D'autres, enfin, comme le groupe Mayday ou Seven Star, cherchent à faire entendre leur voix avec des disques de qualité, mais ne rencontrent qu'un faible écho.

"Envoûtant", "homogène" ; voilà les mots qui viennent à l'esprit à l'écoute d'"Alternate Invention", le second LP du MC portoricain Seven Star après "My Mother And Father Were Astronauts", paru en 2004 sur le label Counterflow Recordings. Dans un univers qui rappelle par moments le "Reflection Eternal" de Talib Kweli et Hi-Tek, tout concourt à cette impression de calme. Les productions, notamment : samples souvent adoucis par quelques effets créant une atmosphère nocturne et planante, lignes de basses feutrées, batteries légères, jamais envahissantes. Les rythmiques sont nettes, mais elles constituent le plus souvent le fond, l'essentiel restant la mélodie vaporeuse émanant des divers samples (pianos, voix, cordes, cuivres...). Si plusieurs producteurs – dont le Français Astronote, qui livre deux instrus de grande qualité - se partagent la conception des beats, à aucun moment la cohérence de l'album n'en pâtit.

Fatale ('Viuda Negra'), aimée ('Woman'), ou amante ('Eros'), la Femme est la figure de proue d'"Alternate Invention". Loin de se complaire dans le déballage cru propre à l'époque - et pas seulement au rap – Seven Star réussit le pari de parler de sexualité sans tomber dans la métaphore alimentaire ou/et animale ('Eros', pourtant explicite). Qu'elles soient introspectives ('The Missing', 'The Long Walk'), amères et lucides ('Friendshit') ou conquérantes ('Trojan Horse'), ses rimes sont à l'image de sa voix et de son style : limpides, fines et sensibles, tout en évitant le travers cul-cul timoré ; avec cependant une (très) petite réserve pour le flow, pas toujours irréprochable. En parfaite osmose avec les instrus, il traite de manière originale les thématiques abordées : doutes, religion, mort, père, amour...

Face à l'avalanche de bangers couillus et scarifiés affluant dans les bacs en cette fin d'année 2006, Seven Star détonne. Il livre avec "Alternate Invention" un très bel album, à la fois entraînant et envoûtant, épargnant à l'auditeur les effets secondaires du dernier Cunninlynguists, "A Piece Of Strange", trop souvent soporiphique.