dimanche 18 mai 2008

La nuit au musée

[Article publié dans le quotidien Dernières Nouvelles d'Alsace le 18 mai 2008.]

Une foule nombreuse a participé hier à la Nuit des musées à Strasbourg. A cette occasion, les étudiants de l'Institut national des sciences appliquées d'architecture ont proposé au musée zoologique des animations destinées à tous les âges.

"Proposer au public un autre regard sur les vitrines présentant les animaux" : voilà l'objectif que s'étaient fixé les étudiants en architecture de l'INSA pour cette quatrième édition de la Nuit des Musées.

Plusieurs animations jalonnaient le parcours des visiteurs entre le rez-de-chaussée et le second étage du musée zoologique. Certaines relevant des arts plastiques, comme cette sculpture pleine de poésie d'un chef d'orchestre placée face aux vitrines présentant des oiseaux ou encore cette immense volière tendue dans les escaliers. D'autres en mode théâtral, avec des étudiants se relayant pour lire quelques-unes des plus célèbres Fables de La Fontaine.

Assis en tailleur au centre d'un cercle d'animaux, ils employaient tour à tour un ton humoristique ou plus sérieux. L'ensemble évoquait joliment l'enfant absorbé par sa lecture et s'évadant dans un monde imaginaire peuplé d'animaux.

Dans le reste du musée, après une première demi-heure de forte affluence rappelant plus l'ouverture des soldes qu'une sortie culturelle, les parents semblent apprendre autant que leurs enfants. "Regarde les pingouins là-bas ! Ah non, au temps pour moi, ce sont des manchots", dit en rougissant une jeune mère à sa fille. "Tu te rends compte que les otaries mâles ne sont agressives que si on attaque leur territoire", glisse, visiblement impressionné, un quinquagénaire à sa compagne. En tout cas, aucun ne s'est attardé devant la vitrine du tigre, "qui a l'air de nous suivre des yeux où qu'on se place"...

Al K-Pote - L'Empereur (2008)


Chronique publiée sur le site Abcdrduson.com en mai 2008.

En écoutant des disques de rap, il m'arrive de me demander ce qu'il en restera dans dix ans, dans vingt ans, dans deux siècles. Qu'est-ce que l'histoire de la musique retiendra de ces 30 ans de rap ? Qu'est-ce que l'histoire du hip-hop retiendra du rap du début du XXIème siècle ? Que restera-t-il du rap français ? Quels artistes et quels albums laisseront vraiment une trace ?

Concernant Al K-Pote, il est douteux qu'elle en retienne grand chose. Artistiquement en tout cas, ça semble difficile. Une partie des auditeurs de rap français se souviendra de bonnes tranches de rigolade, de punchlines débiles, du rappeur le plus gras que la Terre ait jamais porté. Pour le reste...

"Je vous zigouille. Lèche mon concombre et mes citrouilles."

Suite de phases-choc, le rap d'Al K-Pote n'est pas véritablement construit. Pas de cohérence, presque pas de thèmes, une tendance à passer du coq à l'âne sans prévenir. De l'egotrip neuf fois sur dix. Un peu d'introspection, mais pas trop quand même. Chaque morceau ressemble à une longue improvisation. Malgré sa volonté affirmée de laisser un souvenir de lui, Al K-Pote n'écrit pas pour rentrer dans l'histoire. Pourquoi, alors, puisque visiblement il n'a pas grand chose à dire ? "L'Empereur" comme "Sucez-moi avant l'album" ressemblent plus à des défouloirs instinctifs qu'à des disques pensés. Un moyen de remplir son assiette aussi, histoire de "bouffer du gigot".

"Ma fontaine de jouvence c'est du whisky."
"Grosse catin, j'fume des pèts' tôt l'matin, imagine Joe Dassin avec un putain de flow malsain."

Un ogre sous weed et vodka au XXIème siècle. C'est dans ce registre de mec défoncé, affamé, mysogine et dangereux déboulant à toute allure en plein centre-ville qu'Al K-Pote est le plus impressionnant : ses morceaux à thèmes, sur les femmes ('Respect aux femmes') ou sur son histoire personnelle ('Mon histoire') sont loin d'être réussis. Seul 'La voix d'en bas' s'en sort mieux.

Du rap souvent trop mécanique, malgré quelques variations momentanées, sur des beats très classiques à deux exceptions près ('L'Empereur', 'L'Envahisseur')... Et pourtant pas mal d'auditeurs en redemandent. Qu'est-ce qui, alors, fait qu'on l'écoute malgré tout ? Alors que d'un point de vue humain, ce rap est détestable ? Face à un texte de l'autoproclamé "Empereur de la crasserie" ("alias Pef Le Dégueu alias L'aigle royal de Carthage alias Le meilleur du 91 alias Jojo L'Affreux"), l'auditeur est dans la même situation que la marionnette d'Alain de Greef, dans les Guignols, face à Michael Kael enculant un mouton. Il rigole comme un con. Même chose quand il s'agit d'expliquer à des gens ce qui est si drôle dans cette suite d'insultes et de gimmicks. "Ben, Michael Kael 'cule un mouton, drôle, tout ça..." répond De Greef. Et nous : "Ben Al K-Pote dit "sucez-moi bande de putains", drôle, tout ça...". Les conneries d'Al K-Pote sont marrantes pour certains, pitoyables pour d'autres. C'est tout. Mais il est rare de trouver quelqu'un restant indifférent à tout "ça". Comme Jackass, à l'époque. Avec en plus un vrai charisme, car Al K-Pote est un personnage dingue et vraiment original. Le rap a déjà connu des types dans le même délire, mais jamais aussi excessifs, aussi barjos.

C'est donc ça, "L'Empereur" : du rap-bélier, mais aussi du rap fast-food, qui remplit les oreilles et vide le crâne pendant un petit moment mais gave vite. Puis vers lequel on retourne, avec le sourire. Parce que c'est marrant, et parce que les autres rappeurs sont trop sérieux dans leur délire "rue". Al K-Pote lui-même se prend-il au sérieux ou écrit-il volontairement dans l'excès, avec un certain sens du second degré ? Il est sans doute à prendre, comme Booba, "à un degré cinq". A la vue de ses interviews, c'est difficile à déterminer avec certitude : l'auditeur est seul juge. C'est cela aussi qui peut gêner. Alors l'histoire de la musique l'oubliera peut-être vite, mais qui, aujourd'hui, en a quelque chose à faire ? La vérité est là : sans des mecs comme Al K-Pote, le rap serait terriblement monotone.

Rockin' Squat - Too Hot For TV


Chronique publiée sur le site Evene.fr en mai 2008.

Il y a plus d'une dizaine d'années, la sortie d'un disque d'Assassin était un événement pour les auditeurs de rap français. Aujourd'hui, quand Rockin' Squat, leader du groupe, sort un album, il est plutôt accueilli avec circonspection, voire indifférence. C'est que les fans ont vieilli, sont passés à autre chose, et que le temps ne pardonne pas grand-chose aux rappeurs. Avec ce EP (huit morceaux, deux instrus, une plage vidéo), Squat fait ce qu'il sait faire de mieux : des titres politiques critiques vis-à-vis du monde occidental, en adoptant la posture du marginal, et des morceaux sur le hip-hop, avec beaucoup d'"egotrip". Le résultat est intéressant lorsque Rockin' Squat parle de lui-même et de son rapport aux médias ('Too Hot for TV') mais vite lourd car trop didactique quand il donne sa vision du monde ('France à fric', 'Illuminazi 666'). Car c'est toujours le même souci avec lui : trop de faits, trop de noms... L'ensemble devient vite assommant, en dépit de la courte durée de l'opus et de quelques bonnes idées dans la production, comme par exemple sur 'France à fric', combinant un instru de Junkazlou et le balafon de Cheick Tidiane Seck. Quelques titres sortent pourtant du lot ('Quand ce sera la guerre', 'Crack Game'). Mais en écoutant "Too Hot for TV", on se demande surtout pourquoi Rockin' Squat n'écrit pas des livres, pour y développer ses idées plus facilement. Malgré des textes caricaturaux, les plus jeunes auditeurs pourront peut-être trouver matière à réflexion dans cet opus, mais les plus anciens, à moins d'être des fans convaincus, seront vite lassés.

dimanche 11 mai 2008

Blue Sky Black Death - Late Night Cinema (2008)


Chronique publiée sur le site Abcdrduson.com en mai 2008.

Dans "Metal Gear Solid 3", lors de son affrontement avec le boss The Sorrow (le chagrin, la peine), Snake remonte lentement le cours d'une rivière. Il doit sans cesse zig-zaguer pour éviter les fantômes de tous les ennemis qu'il a tués au cours de l'aventure. Ce passage est l'un des moments les plus impressionnants du jeu : The Sorrow n'est pas difficile à vaincre, mais l'atmosphère est incroyablement bien travaillée. La rivière est limipide, entourée d'immenses arbres tristes et de brume. Aux plaintes des morts se joint la voix du boss, murmurant régulièrement "The sorrow...".

"Late Night Cinema"
du duo de producteurs californiens Blue Sky Black Death en aurait constitué la bande-son idéale. La musique de Young God et Kingston, magnifiquement orchestrée, déborde de cette même tristesse. Comme le producteur de dubstep Burial, ils utilisent à merveille les samples vocaux qui planent, pleins de mélancolie, entre les violons et autres instruments à cordes, les pianos et les cuivres, les rythmiques incisives ou discrètes et les compositions au synthé. Grandiloquente par moments, leur musique s'appréhende comme un tout : un tout mystérieux, nocturne et émouvant qui berce l'auditeur, de 'The Era when we sang' à 'Legacy to fuel' ; un tout qu'il serait vain de chercher à décortiquer titre par titre, car cela risquerait d'en rompre la magie. Laissons le travail de médecins légistes musicaux de côté, pour une fois.

Déjà auteur de trois albums - "A Heap of Broken Images" (2006), "Razah's Ladder" (2007) en collaboration avec Hell Razah et l'excellent "The Holocaust" (2006) avec le Wu-Tang Affiliate Holocaust/Warcloud – le duo Blue Sky Black Death continue sur la même voie. Celle d'une musique qui transporte et fait rêver en même temps qu'elle reste liée à un spleen collant à la peau. Celle des marches nocturnes, celle des jours de deuil. Ce n'est sans doute pas pour rien qu'un des morceaux de "Late Night Cinema" s'intitule 'Ghosts Among Men'.

samedi 3 mai 2008

Sherlock House


Billet publié sur le blog Details Matter en avril 2008.

Quelque chose m’a toujours intrigué dans la série “Dr. House”. Je n’avais jamais réussi à mettre le doigt sur ce détail, ou plutôt sur cet ensemble de détails. Jusqu’à ce que je voie le dernier épisode de la troisième saison, diffusé la semaine dernière sur TF1.

Au cours de la séquence finale, le réalisateur nous montre Gregory House rentrer chez lui. La caméra reste à l’extérieur, puis effectue un lent travelling lorsque la porte se referme pour passer devant la fenêtre et nous permettre d’observer ce que fait House - il ouvre un colis qu’il vient de recevoir, mais l’intérêt n’est pas là.

Entre la porte et la fenêtre, la caméra passe devant le numéro de son appartement. C’est ce qui m’a soudain fait comprendre que cette série est en fait un long hommage à “Sherlock Holmes”, l’oeuvre littéraire d’Arthur Conan Doyle. Car ce numéro est le 221, référence directe à l’adresse de Sherlock Holmes à Londres, le 221B Baker Street.

Impossible, dès lors, de ne pas établir un grand nombre de correspondances à partir d’autant de détails qui laissent penser que “Dr. House” n’est, d’une certaine façon, qu’une adaptation joyeusement cinglée et dans le monde médical des enquêtes du plus célèbre détective de la littérature mondiale. Et que House est une sorte de réincarnation d’Holmes au XXIème siècle.

Les noms, déjà. House/Holmes. Les deux sont très proches. Le meilleur ami (le seul ami) de Gregory House s’appelle Wilson. Entre le Dr. Wilson et le Dr. Watson, il n’y a également qu’un pas. Les deux jouent d’ailleurs grosso modo le même rôle : celui de soutiens sans faille, sympathiques et dévoués à défaut d’être vraiment fûtés.

Ensuite, au niveau des caractères. House et Holmes sont deux génies misanthropes rejetant la compagnie du reste de la société, sûrs d’eux et pleins d’arrogance. Tous deux sont des toxicomanes : Holmes est accro à la cocaïne ; House à un médicament anti-douleur, la Vicodin. Et c’est seulement lorsqu’ils sont sous l’effet de ces produits qu’ils sont pleinement efficaces. Enfin tous deux sont des passionnés de musique, qui leur sert de refuge autant que de loisir. Sherlock Holmes pratique le violon. Gregory House joue de la guitare et du piano.

Dans leur façon d’enquêter, les liens sont nombreux. Le détective privé et le médecin avancent par déductions, qu’ils sont souvent les seuls à comprendre, aidés également par un sens incroyable de l’observation. On peut aussi très bien assimiler le reste de l’équipe de House aux policiers de Scotland Yard qu’Holmes prend sans cesse un malin plaisir à devancer et à rabrouer, même s’il arrive qu’ils l’aident - presque involontairement. Enfin, tous deux ne s’attachent pas à leurs clients/patients, ne les considérant que comme des cas, des énigmes à élucider. Une fois le mystère éclairci, ils rompent tout contact.

Cette multitude de correspondances aura sans doute sauté aux yeux de beaucoup de télespectateurs. Mon cerveau doit être plus lent ; il m’aura fallu ce lent travelling, après des dizaines d’épisodes, pour faire enfin le rapprochement. Il y a sûrement d’autres points communs, mais ceux-ci me semblent les plus évidents.

vendredi 2 mai 2008

Guts Le Bienheureux - 1er album


Chronique publiée sur le site Evene.fr en mai 2008.

Le problème, avec la musique hip-hop instrumentale, c'est qu'à la longue elle peut devenir un brin ennuyeuse. Un écueil que Guts le Bienheureux parvient à éviter avec brio. Pour son premier projet, ce producteur français, connu des amateurs de rap pour avoir été l'un des membres fondateurs du groupe Alliance Ethnik, a su choisir des samples chaleureux. Cuivres, voix soul, guitares, cordes s'entremêlent pour donner naissance à un disque lumineux et plein de joie. C'est la première impression qui marque l'auditeur : cet album a le parfum des vacances, des balades en voiture direction la plage et des matins ensoleillés. Même lorsque la musique se fait plus mélancolique ou angoissante (la voix pitchée et la guitare aux sonorités latines de 'Nightmare in Paris', 'I Love You', 'Narco Trip' et sa trompette en sourdine, 'Sweet Love'), la douceur est toujours au tournant. Immédiatement abordables, même pour les oreilles habituellement rétives au hip-hop, les morceaux de Guts ont cette simplicité, cette générosité qui les distingue des oeuvres beaucoup plus complexes d'autres grands producteurs comme Alias, Blockhead ou Sixtoo. Sans même parler des "turntablists" DJ Krush ou DJ Shadow. Nullement élitiste, donc, mais tout aussi envoûtant, tant la tonalité organique des beats transporte, incite au voyage. On recommande également chaudement l'écoute de 'And the Living is Easy !!!', meilleur titre de cet album haut de gamme. Un véritable condensé de joie de vivre, marqué par de belles envolées de cuivres. Guts le Bienheureux a décidément bien choisi son pseudonyme.

lundi 28 avril 2008

Demon One - Démons et merveilles (2008)


Chronique publiée sur le site Evene.fr en avril 2008.

"Je constate que depuis peu c'est la mode du rap hardcore. Eh gros, ça rappe depuis deux piges et ça se prend pour des tueurs."
Quand il prend le micro, Demon One a le recul de ceux qui savent de quoi ils parlent. La rue, il connaît. Son groupe était Intouchable et sa famille la Mafia K'1 Fry. Ces deux noms suffisent à le prouver et à (im)poser le personnage. Voilà plus de dix ans qu'il rappe sur les albums de ses potes, et sur ceux de son groupe. Pour son premier effort solo, "Démons et merveilles", il convie assez peu de monde. Big Nas produit la majorité des titres, secondé ici et là par Jakus ('Solitude', le plus beau morceau du disque), Eclipse Team, Wealstarr, Marc Chouarain ou JR. Soprano et Diam's posent chacun sur un titre, de même que Dry - l'autre Intouchable - et Béné, un jeune rappeur de Choisy-le-Roi, la ville d'origine de Demon One. Le son est résolument électro, laissant peu de place au sampling, tantôt mélancolique, tantôt franchement guerrier. Demon, lui, oscille entre egotrip ('Seigneur de guerre'), introspection/autobiographie ('Solitude', 'Mes rêves') et morceaux plus thématiques ('La Bonne Combinaison', sur le jeu, 'Alors comme ça', sur les ragots, 'Pour toi', dédié à un ami décédé). Le rappeur explore et expose les différentes facettes de sa personnalité, parle de la rue, des tentations que chaque homme trouve sur son chemin, sans tomber dans le manichéisme ou la surenchère hardcore, comme le font les rappeurs qu'il critique sans les citer. Il en résulte un album qui paraît sincère, plutôt bien produit et maîtrisé. Certains auront sans doute du mal avec Demon One et sa voix particulière, son débit haché et manquant parfois de souplesse et de fluidité. Mais l'ensemble est de bonne facture.