dimanche 2 mars 2008

Frank Lucas va-t-il détrôner Tony Montana ?


"American Gangster", le dernier film de Ridley Scott, laissera des marques sur le monde du rap. Il a déjà inspiré à Jay-Z un album entier. So gangster, baby !


Pitch ardissonien express : "American Gangster" est l'histoire de Frank Lucas, baron de la drogue new-yorkais. S'inspirant de faits réels, Scott filme l'ascension, le règne et la chute (puis la "rédemption") de celui qui fut le premier noir à contrôler le monde new-yorkais de la came.


Où l'on apprend pourquoi Frank Lucas enterre Tony Montana et pourquoi les rappeurs vont l'aimer

Le rap avait trouvé son gangster de chevet en la personne de Tony Montana, héros-Icare de "Scarface" (Brian De Palma, 1983). Mais Tony n'avait que ses couilles et sa parole pour faire sa place. Frank Lucas, en plus, a la classe.

Si les MC's américains connaissent déjà bien son histoire, ce gangster méconnu dans nos contrées a tout pour devenir une icône dans le rap français. La preuve en cinq points :

1. D'une part, il est un "entrepreneur" révolutionnaire. Bousculant les habitudes des drug lords italiens, Lucas va chercher directement sa came, sans intermédiaires, dans l'Asie du sud-est alors bouleversée par la Guerre du Viêtnam. Son héroïne est pure à 100%, revient via les avions militaires américains, planquée dans les cercueils des "boys". Et il la vend moins cher que ses concurrents. Un produit deux fois meilleur, à un prix inférieur. Non mais sérieusement, qui peut le tester ?

2. D'autre part, Lucas est son propre chef, le boss de son organisation, indépendant et autonome. Il n'appartient à aucune grande famille de la pègre, ne se met pas au service, par exemple, des Italiens. Il monte son business et impose sa marque – la "Blue Magic", nom donné à son héroïne. Bref, Frank Lucas n'a pas à cirer les pompes d'un enculé pour avoir de quoi vivre.

3. Une scène le montre avertissant "amicalement" un dealer parce que ce dernier, après avoir acheté de la Blue Magic, se permet de la couper et de la revendre ensuite sous le même nom. Une pratique intolérable pour le baron de la drogue, car elle lui fait perdre de la street-crédibilité. "Street is watching", comme dirait Jay-Z et, avant lui, Carlito Brigante ("Carlito's way"). Et la rue doit être satisfaite. Encore un point commun entre cet american gangster et le rap.

La famille. Un rappeur se cache sur cette photo, sauras-tu le découvrir ?

4. Lucas est un homme de valeurs pour qui la famille importe plus que tout. Bien sûr il participe directement à la mort de milliers de personnes transformées en junkies, mais le rappeur ne s'embarrasse pas de tels détails. La première chose qu'il fait, une fois installé ? Il téléphone à sa famille, vivant dans un bled paumé, et la fait emménager dans une splendide demeure ; puis il intègre ses frères et cousins à son empire naissant. Un célèbre adage ne dit-il pas : "Si si, la famille" ?
Détail d'importance : la mère de Lucas est sans doute la personne qu'il aime le plus. Il prend toujours la peine d'accompagner sa maman à la messe, tous les dimanches, et la comble d'attention. On se rappelle des relations pour le moins tendues entre Tony et sa maman. Et le rappeur, humain malgré son baggy, aime profondément sa génitrice.

5. Au final, Lucas chute. Mais moins que Tony Montana, qui finit le pif plein de coke et la chemise pleine de sang, dans le bassin ornant le hall de son palais. Lucas, lui, finit en taule, mais permet de purger momentanément la police new-yorkaise de ses flics ripoux. Une revanche symbolique pour celui qui avait été humilié dès ses six ans par ces hommes supposés, à la base, protéger chaque citoyen. Car oui, comme un rappeur, Lucas n'aime pas la police. Dingue, non ?

"Celui qui parle le plus fort dans une pièce est en fait le plus faible."

Les apparences, la vantardise et les démonstrations de force, voilà de quoi se méfie Frank Lucas. Les apparences, la vantardise, et les démonstrations de force, voilà ce qui remplit beaucoup de 16 mesures de rap.

D'une certaine façon, c'est un manteau de fourrure qui aura perdu Frank Lucas. Celui, offert par sa femme (entre nous soit dit beaucoup plus belle que cette junkie d'Elvira), qu'il portera lors du combat Muhammad Ali Vs Joe Frazier, et qui attirera sur lui l'attention des flics, corrompus et incorruptibles. Attirer l'attention sur soi, voilà encore la préoccupation de beaucoup de rappeurs.

C'est sans doute là que se situe le hic entre le personnage de Lucas et une partie du monde du rap.

Il est un homme simple, n'aime pas en faire des tonnes, s'habille simplement, sort peu. Pas de vagues, à moins que cela s'avère absolument nécessaire. Quand l'un de ses proches se la joue pimp avec lunettes de soleil et fringues excentriques, Lucas lui rappelle que c'est ce genre d'accoutrement qui peut faire perdre à quelqu'un crédibilité et liberté. Honnêteté, loyauté et discretion. Telle est la voie du parfait gangster. C'est ce qu'ont tendance à oublier certains proches de Frankie, encourant le risque de finir avec la tronche coincée dans le piano.

Loin de ces préoccupations, le rap français, en ce moment, ressemble trop souvent à un concours de zigounettes, où celui qui a la plus grosse remporte la palme d'or. Et les MC's susceptibles de faire référence à un baron de la drogue dans leurs textes sont plus à chercher chez les adeptes actuels de rap de bourrin que chez les rappeurs-qui-aiment-bien-le-jazz. No offense, j'aime les deux.

Toutefois, si Frank Lucas pouvait apporter un peu de sobriété dans le monde du rap, il serait sans nul doute l'un des personnages de la décennie. En tout cas pour moi. En attendant, "American Gangster" a tout pour devenir un film-culte du rap.

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