mercredi 27 février 2008

Akhenaton - Soldats de fortune (2006)


Chronique publiée sur le site Abcdrduson.com en mars 2006.

Six années séparaient "Métèque et Mat" de "Sol Invictus".
Si l’on oublie volontairement le "Black Album", constitué de morceaux enregistrés originellement pour "Sol Invictus" et de divers inédits, cinq années se sont écoulées depuis la sortie du dernier album solo d’Akhenaton.

Les durées sont quasiment identiques et pourtant la nature de l’attente est totalement différente. L’excitation et l’impatience qui précédaient la sortie du LP de 2001 se sont transformées en indifférence, voire en appréhension. Celui qui hier encore était considéré comme l’une des plus grandes plumes du rap français n’apparaît plus aux yeux d’une partie du public rap que comme une ancienne gloire à présent dépassée et démodée, un has been tâchant tant bien que mal de s’accrocher aux branches. Les jeunes générations lui préfèrent les nouveaux poids lourds que sont Rohff, Booba ou Diam’s, et les fans de la première heure lui reprocheront toujours de ne pas refaire "Métèque et Mat". Le discours et la musique d’Akhenaton peuvent-ils aujourd’hui trouver grâce aux oreilles de quelqu’un ?

C’est la question qui s’impose à l’écoute de ce "Soldats de Fortune", tant le rappeur phocéen paraît avoir, appelons un chat un chat, le cul entre deux chaises, tiraillé entre deux publics, entre deux âges. C’est, du coup, la cohérence de son album qui s’en ressent.

Ce manque de cohérence et de logique dans les enchaînements frappe dès la première écoute. On passe par exemple du mélancolique 'Canzone Di Malavita', doux et triste, à 'Live dans la discothèque' bardé de sonorités électroniques et d’egotrip. De même, seulement deux pistes plus loin se succèdent un morceau "politique" posé sur une instru calme et feutrée, 'Déjà les barbelés', et un morceau diamétralement opposé, 'Cosca Crew Party', gonflé de testostérone et d’énergie, façon "je mets le feu dans le club", à l’américaine. Ces coupures violentes et l’absence apparente de fil conducteur empêchent l’auditeur de rentrer pleinement dans le disque. "Soldats de Fortune" ressemble en effet plus à une compilation de morceaux qu’à un album véritablement réfléchi.

Le discours général est celui du Akhenaton post-11 Septembre, déjà en germe sur "Sol Invictus" et développé avec insistance sur "Revoir un printemps" d’IAM. Grossièrement, on peut le résumer à quelques thématiques : le rejet du monde occidental, l’amour du hip-hop et le passé, "son" passé.
Si sa façon de traiter le premier de ces thèmes s’affine –on sort du systématique et caricatural "gentil Orient contre le méchant Occident"-, il n’en demeure pas moins que cela s’avère rapidement lourd pour qui a déjà écouté avec attention le dernier album d’IAM.
"Le hip-hop, ouais, c’est ça qu’on avait dans le sang". L’amour du hip-hop, leitmotiv des textes de Chill depuis longtemps (on se rappelle avec plaisir du terrible 'La Face B', sur "Métèque et Mat"), est ici aussi de mise, pour le meilleur ('Bronx River'), comme pour le pire, lorsque la chasse aux faux MC's est ouverte ('Comode "Le Dégueulasse"', sans doute, avec 'Teknishun' et 'J’ai vraiment pas de face', le plus mauvais morceau d’Akhenaton de tous les temps).
Mais c’est indéniablement lorsqu’il parle de lui-même et de son passé qu’il est le meilleur. Ce sont également les morceaux les plus douloureux pour tout amateur d’Akhenaton ayant grandi en écoutant sa musique, car l’on se rend compte alors que sa finesse d’écriture et sa capacité à décrire des moments passés avec une simplicité et une sincérité telles que tout auditeur s’y retrouve sont toujours présentes, et qu’il en faut peu pour que la magie qui faisait de "Métèque et Mat" un album hors du commun opère à nouveau. Seul son acharnement à vouloir prouver qu’il a eu une enfance pauvre et a fréquenté des gens dangereux et violents agace. Ainsi, 'Du Mauvais côté des rails', le magnifique 'Mots Blessés', 'Canzone di Malavita' ou 'Sur les murs de ma chambre' sont sans aucun doute les meilleurs titres de ce "Soldats de Fortune".

Akhenaton assure lui-même l’intégralité de la production de cet album, à l’exception du très bon 'Bronx River' dont se charge Hal, le beatmaker du groupe Chiens De Paille.
Le reproche majeur fait à cet album est la trop forte présence d’instrus électro, et par conséquent le recours de moins en moins fréquent aux samples, dont étaient auparavant chargées les productions d’AKH. Ces instrus sont effectivement souvent regrettables tant les ronflements électroniques incessants sont désagréables à l’oreille. Akhenaton lui-même ne paraît pas à l’aise dessus, comme s’il n’était pas fait pour poser sur ce type de sons. Ces beats constituent donc les principaux points faibles de ce disque : 'Live dans la discothèque', 'L’Ecole de Samba', 'Cosca Crew Party', 'One Luv'. Seul le titre éponyme, 'Soldats de Fortune' s’en sort mieux.
Les morceaux sont immédiatement plus plaisants lorsqu’il compose des instrus plus "classiques". On soulignera particulièrement l’excellent 'Déjà les barbelés' et le travail discret et efficace de Sya Styles, le DJ des Psy 4, qui, en retrait, ponctue le beat de divers scratchs. Les samples de piano et de cordes sur 'Mots Blessés' sont là encore en adéquation parfaite avec le thème traité, de même que sur 'Bien Paraître'. Comme sur certains titres de "Revoir un printemps", AKH fait parfois appel à des musiciens extérieurs, pour un résultat toujours convaincant, comme par exemple pour jouer la flûte et la guitare de 'Alamo' ou encore les cuivres de l'instru très militaire de 'Entre la pierre et la plume'. Le remix de 'Quand ils rentraient chez eux', qui sur le papier, laissait présager un titre bouche-trou, est au final très touchant musicalement, le mélange entre sampling et parties jouées par des musiciens formant un titre homogène excellent et plein d'émotion.

Aussi étrange que cela puisse paraître, les différentes prestations de Shurik’n sont la meilleure surprise de cet album. Qu’il se charge de chanter les refrains, adopte des intonations rocailleuses en forçant sa voix ('Cosca Crew Party'), avec un flow rigide de guerrier en marche ('Entre la pierre et la plume') ou souple ('La Fin de leur monde'), il fait montre d’une palette de styles qu’on ne soupçonnait pas chez lui, et qui s’avère véritablement impressionnante. Son couplet sur 'La Fin de leur Monde' est, tant en termes de technique que d’écriture, mémorable. Sako, qui semble avoir encore allégé son style, se montre impeccable lors de ses trois apparitions, particulièrement sur 'Bien paraître', où il évoque ses racines italiennes et la découverte du village d'origine de sa famille, et sur 'Déjà les barbelés'.
Au contraire, les autres invités sont loin de convaincre. On ne s’étendra pas sur la prestation de Faf La rage sur l’infâme 'Comode "Le Dégueulasse"' ("T’es mou comme Miou-Miou, ton style est pas cool mais vilain comme une poupée vaudou", "t’es pas tout puissant comme Bruce mais tu suces..." et ainsi de suite). Quant à Veust Lyricist et aux Psy 4 De La Rime, ils ne démontrent rien et sont même plus poussifs qu’autre chose.

Finalement, "Soldats de Fortune" ne parvient pas à convaincre l’auditeur. Manquant de cohérence et semblant constamment hésiter entre différentes directions, il donne une impression de fourre-tout, d’assemblage de titres sans véritable réflexion artistique derrière. A bientôt quarante ans, Akhenaton paraît à un moment décisif de sa carrière. Il lui faut faire un choix, et ne pas hésiter à viser le public qui est aujourd’hui le sien : un public mature, ayant grandi en l’écoutant et attendant de lui qu’il continue de traiter des thématiques personnelles, pas des leçons de civisme moralisatrices et lassantes (on pense ici à la dernière page du livret de l’album, rappelant les démarches pour s’inscrire sur les listes électorales) ou dans le style dancefloor, qui convient bien mieux à d’autres. On espère simplement que d’ici quelques années, pour son prochain album solo, Akhenaton redeviendra cet homme qui voulait "vivre avec le calme comme essence".

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