mercredi 27 février 2008

Nid d'ombres


Billet publié sur le blog Details Matter en décembre 2007.

Dans "Les Promesses de l’ombre", de David Cronenberg, une scène m’a particulièrement marqué. Précisons tout d’abord que ce film n’est pas avare en scènes mémorables : de l’assassinat au rasoir jusqu’au combat dans les bains publics en passant par la cérémonie d’initiation, les images se gravent automatiquement dans l’esprit du spectateur, par leur beauté ou leur violence brute. Parfois les deux.

Mais il en est une à côté de laquelle, je pense, beaucoup de gens ont dû passer. Nikolaï (Viggo Mortensen) et Kirill (Vincent Cassel) se trouvent tous deux au bordel. Les putes sont propriété de leur famille mafieuse. Saoûl, Kirill, qui est le supérieur de Nikolaï, oblige ce dernier à choisir une prostituée et à coucher avec elle devant lui. Il veut, dit-il, vérifier que Nikolaï n’est pas homosexuel.

La caméra tourne alors lentement et balaie la pièce, passant brièvement sur les visages des prostituées, jeunes filles venant d’Europe de l’Est, qui croyaient trouver à Londres un avenir meilleur. C’est ce moment-là, quand la caméra capte les regards. Ce qu’on y voit ? Un mélange de tristesse et de résignation, frappant et vraiment troublant. Pas quelque chose qui donne l’impression d’être joué, mais vécu, intériorisé. Réel. Au point que je me suis demandé s’il s’agissait d’actrices.

Ce moment-là – et d’autres – renvoie directement à ‘Nid de guêpes’, un morceau d’Akhenaton disponible sur son "Black Album" et qui raconte l’itinéraire d’une jeune Roumaine enlevée pour finir sur le trottoir à Nice. Puis morte sous un abribus. "Les promesses de l’ombre" n’est pas directement un film sur la prostitution – du moins ce n’est pas son thème central. Mais Akhenaton et Cronenberg en parlent en suivant le même mode de narration, via le journal intime d’une "fille de l’Est", comme on dit, découvert après leur mort. Bouleversant morceau d’Akhenaton, soit dit en passant.

"Yeux tristes dans l’étreinte de gens sans amour, gens sans avenir, gens sans atours, gens qui la serrent mais à ses cris demeurent sourds."

C’est ce que le rappeur marseillais écrit. Et c’est ce qui paraît flotter au-dessus de cette scène, entre la barre de strip-tease froide, la violence de Kirill et les corps offerts de force et pris pour passer le temps.

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