lundi 25 février 2008

Ettore Scola - Affreux, sales et méchants (1976)




Article publié sur le site True Duke en mai 2006.

Portrait sans fard de la vie dans un bidonville de la banlieue romaine dans les années 1970, "Affreux, sales et méchants" devait n’être qu’un simple documentaire. Mais, suite à ses discussions avec les habitants de ces baraques (appelés les "baracat"), le metteur en scène italien Ettore Scola préféra finalement s’orienter vers une œuvre de fiction, tout en restant dans le registre réaliste.

L’histoire est simple et l’intrigue quasi inexistante. Scola nous fait suivre le quotidien d’une famille d’immigrés en provenance du sud de l’Italie, installée depuis quelques années avec d’autres familles sur une colline dans la périphérie de Rome. Une histoire démarrant sur une telle base pourrait s’avérer rapidement ennuyante. Mais il ne s’agit pas d’une famille ordinaire. Organisée autour de Giacinto, ancien maçon éborgné suite à un accident de travail et régnant en patriarche sur sa maisonnée, celle-ci est composée d’une vingtaine de membres vivant entassés les uns sur les autres. Tous au chômage, ils survivent de rapine, d’autres activités plus ou moins illicites (vol, prostitution...) et de divers expédients (pension de la grand-mère que tout le monde se partage...).

Personnage haut en couleur, Giacinto est détesté par toute sa famille. Véritable tyran, vieillard lubrique et alcoolique n’hésitant pas à poignarder sa femme parce que celle-ci a eu le tort d’accepter un cadeau (un balai à chiotte, pensez-vous !) de la part d’un ami, il est en plus de ça d’une avarice sans nom. Veillant jalousement jour et nuit sur le million de lires que les assurances lui ont versé suite à la perte de son œil, il refuse d’en donner la moindre part et préfère que sa famille vive dans la crasse et la misère. Sans dévoiler la principale péripétie du film, cela conduira ses proches excédés à tenter de le tuer. Afin de se faire une idée de cette crasse à la fois physique et mentale, un exemple suffit : la belle-fille de Giacinto, penchée en avant, se lave les cheveux dans un lavabo. Le frère de son propre mari, travesti et prostitué notoire (sa mère l’appelle "Fesses écartées"), entre dans la maison et voyant cela, se met immédiatement à la forniquer, alors que la grand-mère et les enfants sont dans la pièce d’à côté. Heureuse, la jeune fille ne proteste que pour faire bonne figure et achève de se laver. Giacinto observe la scène depuis une fenêtre. Il fera lever en pleine nuit sa belle-fille pour pouvoir à son tour profiter de sa «jeunesse » dans les toilettes de la baraque, la menaçant de tout révéler à son mari si elle résiste.

Ettore Scola livre donc un film extrêmement sombre et malsain, mais également très drôle tant les personnages, presque tous "affreux, sales et méchants" paraissent vouloir se surpasser les uns les autres en cruauté. Sans suivre de trame narrative, le réalisateur italien parvient à captiver le spectateur pendant l’heure cinquante que dure le film. Il suit ces personnages à travers leurs actions quotidiennes (le réveil chaotique, aller chercher de l’eau à la pompe, mener les enfants dans la cage qui sert de garderie...), livrant un témoignage fort et marquant sur la vie de ces laissés pour compte de la société italienne vivant au milieu de la boue, des ordures et des rats. Il montre ainsi avec brio comment la société de consommation qui se met en place (le film se passe dans les années 60-70) bafoue leur culture et leurs repères. La plupart de ces personnages, à l’exception notable de l’excellent Nino Manfredi (Giacinto), sont d'ailleurs interprétés par des habitants des bidonvilles, ce qui posa un certain nombre de problèmes lors du tournage (acteurs ne venant que quand ils en avaient envie, obligés d'aller pointer au commissariat...).

Si de nombreuses scènes font sourire, "Affreux, Sales et Méchants" n’en reste pas moins un film pessimiste, s’achevant sur l’image éloquente d’une fillette de douze ans déjà enceinte, métaphore du cercle vicieux dans lequel sont enfermées ces populations. Le film fut très critiqué à sa sortie (1976), tant par les catholiques, qui ne retrouvaient pas l’image du "bon pauvre" tel qu’il est idéalisé dans la Bible, que par la Gauche, qui accusa le metteur en scène d’avoir réalisé un film anti-prolétaires. Il n’en demeure pas moins que "Affreux, Sales et Méchants" est un excellent film, grinçant, dérangeant et drôle, qui obtînt le Prix de la mise en scène au festival de Cannes de 1976.

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